CIRCULAIRE N° 225 du secrétaire d'État à la présidence du conseil relative à l'application du titre V « Discipline » de la loi du 19 octobre 1946 portant statut général des fonctionnaires.
Du 10 décembre 1951NOR
1. Contenu
Abrogée et remplacée en dernier lieu par la loi 84-16 du 11 janvier 1984 (BOC, p. 208). |
2. Contenu
Mes services ont été à maintes reprises saisis par différents départements ministériels de demandes d'avis relatives aux problèmes posés par la mise en œuvre du régime disciplinaire institué par la loi du 19 octobre 1946 et se sont efforcés de fournir aux diverses administrations des solutions conformes aux principes posés par le statut général. En certains cas, il leur était apparu que les questions soumises soulevaient de sérieuses difficultés juridiques et mes prédécesseurs furent conduits à demander l'avis du conseil d'État sur les solutions qu'il convenait d'y apporter.
Ces avis furent portés à votre connaissance par mes circulaire 66 du 15 janvier 1948 (BOR/M, p. 33), circulaire 109 du 26 octobre 1948 (BO/A, p. 2982), circulaire 174 du 28 mars 1950 (BO/G, p. 1139).
Il m'a paru utile, compte tenu des nouvelles questions soumises à mon examen et de différents arrêts rendus par le conseil d'État, de résumer et de compléter les dispositions des circulaires précitées.
A cet effet, la présente circulaire traitera de questions posées :
§1er. Par la nature des peines disciplinaires (art. 61) ;
§ 2. Par la mise en œuvre de la procédure disciplinaire ;
§ 3. Par la situation particulière de certains agents (abandon de poste, condamnation à une peine entraînant la privation des droits civiques) ;
§ 4. Par le retrait des mesures disciplinaires.
3. Questions posées par la nature des sanctions disciplinaires prévues à l'article 61 de la loi du 19 octobre 1946.
3.1. Contenu
Non-cumul des sanctions disciplinaires.
3.2. Contenu
Exclusion temporaire de fonctions.
3.3. Contenu
Abaissement d'échelon.
3.4.
3.4.1. Contenu
Il convient en premier lieu de rappeler que la règle non bis in idem, en vertu de laquelle un même individu ne peut être poursuivi qu'une seule fois pour un même délit est applicable en matière disciplinaire (conseil d'État, 24 janvier 1936, Montabre).
Il en résulte tout d'abord qu'il ne peut être intenté plusieurs instances disciplinaires contre un fonctionnaire à raison d'une même faute et que la sanction prise à l'encontre d'un fonctionnaire en raison de manquements professionnels commis par lui a un caractère définitif sous réserve de ce qui sera indiqué au paragraphe 4 sur le retrait des mesures disciplinaires.
Cette disposition ne saurait cependant interdire d'intenter une nouvelle action disciplinaire contre un fonctionnaire en raison de faits nouveaux connus postérieurement à la décision primitive et dont la nature aurait pour conséquence de modifier profondément la gravité de la faute reprochée à ce fonctionnaire (conseil d'État, 4 mai 1949, Maunier ; avis du conseil d'État, commission de la fonction publique du 25 juin 1950). On observera cependant que les fautes disciplinaires ne faisant pas l'objet d'une qualification précise, il importera en cette hypothèse de motiver de façon très nette la nouvelle décision pour éviter une annulation au contentieux.
La règle de non-cumul des peines disciplinaires a pour seconde conséquence d'interdire de frapper cumulativement, au cours d'une même instance disciplinaire, un fonctionnaire de deux des peines instituées à l'article 61.
Cette disposition ne soulève de difficultés particulières qu'en ce qui concerne le déplacement d'office. En effet, s'il peut y avoir le plus grand intérêt à déplacer un fonctionnaire qui a commis une faute disciplinaire pour laquelle le déplacement d'office seul apparaît comme une sanction insuffisante, il n'en faut pas moins conclure, dans l'état actuel de la législation, à l'impossibilité d'infliger le déplacement d'office à titre de sanction accessoire.
Il est évident au surplus que la règle du non-cumul n'a pas pour effet d'interdire de muter, dans l'intérêt du service, le fonctionnaire frappé d'une sanction disciplinaire. Mais il y aura lieu d'observer alors les règles normales applicables aux mutations dans l'administration intéressée.
3.4.2. Contenu
Un certain nombre de difficultés se sont présentées pour déterminer comment devait être réglée disciplinairement la situation d'un fonctionnaire qui fait l'objet de poursuites judiciaires.
En vertu du principe de l'indépendance des instances pénales et disciplinaires, maintes fois affirmé par la jurisprudence, il convient de préciser qu'aucune disposition n'interdit à l'administration de frapper le fonctionnaire poursuivi pénalement d'une peine disciplinaire sans attendre la décision définitive du tribunal répressif.
Cependant, il faut rappeler que si le fonctionnaire objet de poursuites judiciaires a été suspendu en application de l'article 80, il n'est possible de le frapper d'une peine disciplinaire qu'à la condition d'avoir préalablement rapporté la décision de suspension (avis du conseil d'État, commission de la fonction publique du 25 juin 1950).
En pratique, il y aura souvent intérêt à différer la sanction disciplinaire jusqu'à la décision définitive de l'autorité judiciaire ; en effet, l'indépendance des instances pénales et disciplinaires permet de frapper le fonctionnaire poursuivi pénalement d'une peine disciplinaire sans attendre la décision définitive de l'autorité judiciaire mais interdit de retenir, pour motiver la sanction disciplinaire, un délit ou prétendu délit qui ne peut être constaté que par une juridiction répressive.
La sanction ne saurait donc, en cette hypothèse, qu'être fondée sur une faute professionnelle dont l'appréciation incombe exclusivement à l'autorité investie du pouvoir disciplinaire sur avis des organismes compétents.
Il est donc possible qu'une décision disciplinaire prématurée ne tienne pas compte de tous les éléments apportés par l'instruction judiciaire ; dans cette hypothèse, le fonctionnaire pourra être suspendu jusqu'à la décision définitive de l'autorité judiciaire sans qu'il soit mis fin, à l'expiration d'un délai de quatre mois, aux retenues opérées sur son traitement (avis du conseil d'État, commission de la fonction publique du 25 juin 1950).
3.4.3. Contenu
Il convient de rappeler que le fait pour un agent d'abandonner son poste ne permet pas à l'administration, dans l'état actuel de la législation, de prononcer contre lui une mesure disciplinaire ou de le rayer des contrôles sans engager la procédure disciplinaire prévue au titre V de la loi du 19 octobre 1946. Mais comme je le rappelais par ma circulaire 66 du 15 janvier 1948 , l'intéressé ne saurait percevoir aucune rémunération pour le service qu'il n'a pas assuré. Je crois cependant devoir attirer votre attention sur le fait que la suspension de la rémunération ne saurait être employée que dans le cas où l'agent intéressé ne s'est pas présenté au lieu de travail et qu'elle ne saurait par conséquent se substituer à la procédure disciplinaire pour sanctionner une quelconque faute de service.
3.5.
3.5.1. Contenu
La question a été posée de savoir à quel rang il convenait de situer l'exclusion temporaire de fonctions dans l'échelle des peines disciplinaires ; cette détermination est essentielle au cas où « l'exclusion temporaire de fonctions » est prononcée, alors que le conseil de discipline avait proposé une peine différente pour rechercher si cette proposition a été aggravée ou réduite. La loi est muette à cet égard.
Compte tenu de la gravité de la peine qui aboutit à écarter du service un agent momentanément indésirable, il paraît normal d'admettre que cette sanction est plus sévère que le déplacement d'office. Comme par ailleurs elle n'entraîne sur l'ensemble de la carrière de l'agent qui en est frappé que des conséquences limitées puisqu'elle ne peut, en toute hypothèse, excéder six mois, il convient d'admettre qu'elle est inférieure à l'abaissement d'échelon. L'exclusion temporaire de fonction devrait donc s'insérer dans l'échelle des peines disciplinaires entre le déplacement d'office et l'abaissement d'échelon.
Il me paraît cependant nécessaire d'appeler votre attention sur le fait que la loi du 19 octobre 1946, en ne fixant aucune durée minimum à cette santion et en autorisant son application pour six mois, permet de lui donner une gravité très différente selon l'usage qui en est fait. C'est que l'exclusion temporaire d'une durée de six mois appliquée à un fonctionnaire de rang modeste constitue une sanction particulièrement sévère, cette sanction étant privative de toute rémunération.
Par ailleurs, le fonctionnaire exclu temporairement n'étant pas remplacé dans son emploi, il paraît inopportun de le maintenir pendant plusieurs mois hors du service.
Il convient d'autre part de rappeler que, conformément à un avis du conseil d'État du 22 septembre 1948, porté à votre connaissance par ma circulaire 109 du 26 octobre 1948 , l'exclusion temporaire de fonctions n'emporte pas privation des « prestations familiales », mais uniquement des « suppléments pour charge de famille » prévus à l'article 31 de la loi du 19 octobre 1946.
Enfin, il faut considérer que le temps pendant lequel un fonctionnaire a été exclu de ses fonctions ne doit pas être pris en compte, pour le calcul de son ancienneté, pour l'avancement ou la retraite.
3.5.2. Contenu
La suspension a pour objet essentiel d'écarter momentanément du service un agent dont la conduite inspire de graves suspicions, elle est essentiellement une mesure conservatoire. Il en résulte que la sanction prononcée à l'issue d'une période de suspension ne saurait avoir un effet rétroactif et que le temps durant lequel un fonctionnaire a été suspendu doit, en toute hypothèse, être pris en compte pour l'avancement et la retraite.
Par ailleurs, le conseil d'État considère que l'article 80 constitue une dérogation expresse à la règle selon laquelle un fonctionnaire ne peut percevoir un traitement qu'après constatation du service fait. Il en résulte que si un fonctionnaire suspendu s'est livré à une activité privée et a perçu à ce titre une rémunération, cette dernière ne peut être imputée sur le remboursement auquel il peut éventuellement prétendre des retenues opérées sur son traitement. Il est cependant évident que cette disposition n'a pas pour conséquence d'écarter l'application des règles générales relatives au cumul des rémunérations prévues au décret du 29 octobre 1936 .
3.5.3. Contenu
Toute différente est la situation du fonctionnaire condamné à une peine entraînant la perte de ses droits civiques.
Sans doute peut-on déplorer que la perte des droits civiques ne figure pas au nombre des faits énumérés à l'article 130 qui entraînent la cessation définitive des fonctions. Mais, malgré cette omission, il est évident que la procédure disciplinaire ne saurait utilement être engagée à l'encontre d'un agent qui a pu commettre un délit absolument étranger à son activité administrative et qui doit être nécessairement exclu du service. Il faut donc conclure que les conditions requises à l'article 23 (alinéa 2) pour le recrutement sont exigées d'une façon continue des fonctionnaires et que la perte des droits civiques entraîne ipso facto la déchéance de la qualité de fonctionnaire.
Cette solution évidente au cas où l'intéressé a été frappé de la dégradation civique à titre principal ou accessoire, cette peine étant au premier chef une peine criminelle et perpétuelle, doit également être retenue lorsque le délinquant a été l'objet de l'interdiction de certains droits civiques, civils et de famille si cette interdiction entraîne la perte, même limitée dans le temps, des droits électoraux.
Dans ces conditions, il appartiendra à l'autorité investie du pouvoir de nomination de constater la perte des droits civiques en se référant à la décision judiciaire qui l'a prononcée pour procéder au licenciement de l'intéressé, sans qu'il soit nécessaire d'observer la procédure prescrite au titre V de la loi du 19 octobre 1946.
Par contre, lorsque pour des faits étrangers au service un fonctionnaire aura fait l'objet d'une condamnation à une peine qui n'emporte ni la dégradation civique, ni l'interdiction de certains droits civiques, civils et de famille, mais qui peut rendre le maintien de l'intéressé au poste qu'il occupe particulièrement inopportun, il appartiendra à l'administration d'apprécier si l'intérêt du service commande le déplacement de l'intéressé et, dans cette hypothèse, de le prononcer en observant la procédure prescrite en la matière.
3.6.
3.6.1. Contenu
Lorsque l'abaissement d'échelon est appliqué à un fonctionnaire il importe de préciser comment est décompté, en vue d'un avancement ultérieur, son ancienneté dans son nouvel échelon. Pour donner à cette sanction une rigueur uniforme, il convient de reporter dans le nouvel échelon l'ancienneté acquise par l'intéressé dans l'échelon supérieur avant l'application de l'abaissement d'échelon.
3.6.2. Contenu
Il résulte des articles 30 et 32 du décret du 24 juillet 1947 que les séances des commissions administratives paritaires ne sont pas publiques et que leurs membres sont tenus à l'obligation de discrétion professionnelle à raison de tous les faits et documents dont ils ont eu connaissance en cette qualité. Cette disposition leur interdit notamment de communiquer aux intéressés l'avis émis par le conseil de discipline.
Il est cependant certain que les fonctionnaires traduits devant un conseil de discipline ont un droit indéniable à connaître l'avis exprimé par ce conseil ; cette connaissance est en tout cas requise pour former éventuellement un recours devant le conseil supérieur de la fonction publique. La question peut donc se poser de savoir à quel moment la notification de l'avis exprimé par le conseil de discipline doit être fait à l'intéressé.
Il résulte des articles 71 et suivants de la loi du 19 octobre 1946 que la notification faite au fonctionnaire intéressé de la sanction prononcée contre lui doit obligatoirement mentionner si elle a été prise sur avis conforme du conseil de discipline et dans le cas contraire, préciser la sanction proposée par celui-ci. Il appartient à l'administration d'apprécier, pour des motifs de pure opportunité, s'il convient ou non de communiquer à l'intéressé l'avis du conseil de discipline avant la notification de cette décision.
4. Questions posées par la procédure disciplinaire.
4.1. Contenu
Fonctionnaire objet de poursuites judiciaires.
4.2. Contenu
Effets de la suspension.
4.3. Contenu
Notification aux intéressés de l'avis émis par le conseil de discipline.
5. Cas particuliers.
5.1. Contenu
Abandon de poste.
5.2. Contenu
Fonctionnaire condamné à une peine entraînant perte des droits civiques.
6. Retrait des mesures disciplinaires.
Une jurisprudence constante en matière de retrait des actes administratifs créateurs de droits affirme que ces actes ne peuvent être retirés que pour illégalité et dans le délai du recours contentieux. Ce délai est d'ailleurs prorogé lorsqu'un recours a été effectivement intenté jusqu'au jugement définitif.
En ce qui concerne le mesures disciplinaires, une jurisprudence plus libérale autorise sous certaines réserves le retrait de sanctions disciplinaires pour un motif d'opportunité (conseil d'État, Ass. 19 novembre 1948, Baffoux, 4 mai 1949, Maunier).
Il importe donc de préciser à la lumière de cette jurisprudence les conditions qui peuvent justifier le retrait d'une mesure disciplinaire.
1. Une mesure disciplinaire peut toujours être rapportée dans le délai du recours contentieux quel que soit le motif invoqué (illégalité ou inopportunité) nonobstant les droits acquis par des tiers, lesquels ne sauraient avoir un caractère définitif en raison même de l'éventualité d'un recours. Il en est notamment ainsi dans le cas où est intenté le recours prévu aux articles 71 et suivants de la loi du 19 octobre 1946, et où le conseil supérieur de la fonction publique émet une recommandation tendant à modifier la sanction prononcée.
2. Hors du délai du recours contentieux, le retrait d'une sanction disciplinaire ne peut intervenir s'il doit avoir pour conséquence de porter atteinte aux droits acquis par des tiers.
Tel sera toujours le cas lorsque le retrait de la mesure disciplinaire devra entraîner le retrait d'un acte individuel concernant un tiers. Il conviendra même, en l'état actuel de la jurisprudence, d'éviter de rapporter hors des délais du recours contentieux une mesure disciplinaire si ce retrait sans astreindre nécessairement à l'abrogation des mesures individuelles concernant des tiers, peut avoir néanmoins de graves incidences sur la carrière de ces derniers.
Il est d'ailleurs certain que le retrait d'une mesure disciplinaire ne peut en aucun cas être considéré comme une mesure de grâce ou d'amnistie ; il n'est justifié que si la mesure primitive est manifestement irrégulière ou s'il apparaît que des erreurs graves ont été commises lors de l'instruction de l'affaire. Tout retrait inspiré d'un sentiment de bienveillance à l'égard d'un fonctionnaire frappé régulièrement pour une faute professionnelle établie apparaît comme une revirement inexplicable de l'administration et est, de ce fait, le plus souvent contraire à la bonne marche du service.
Pour le Secrétaire d'État à la Présidence du Conseil et par délégation :
Le Directeur du Cabinet,
Maurice AICARDI.