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AUTRE , sieur Moritz.

Du 19 juin 1959
NOR

Classement dans l'édition méthodique : BOEM  361.1.

Référence de publication : Lebon, p. 377.

Vu le décret du 23 janvier 1947, l'arrêté ministériel du 26 février 1952, l' ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953, le décret du 28 novembre 1953 ;

Sur la compétence du tribunal administratif de Besançon :

Considérant que la requête susvisée du sieur Moritz est dirigée contre le jugement, en date du 16 décembre 1955, par lequel le tribunal administratif de Besançon s'est déclaré territorialement incompétent, pour connaître de sa demande tendant à l'annulation, en tant qu'il le concerne, d'un titre de perception délivré par le secrétaire d'Etat à la guerre contre le requérant et les sieurs Jeannier, Lethenet, Jalquin, Chariot et Pluchat, pris solidairement, en vue de recouvrer sur eux le montant d'une indemnité versée par l'Etat aux ayants droit du sieur Crave, en réparation du préjudice qui leur a été causé par le décès de ce dernier, mortellement blessé par un véhicule automobile appartenant à l'armée, qui, au moment de l'accident, se trouvait utilisé par les personnes susmentionnées, alors militaires en garnison à Belfort ;

Considérant que les litiges mettant en cause la responsabilité encourue par les fonctionnaires et agents des collectivités publiques envers ces dernières, en raison de dommages ayant résulté pour lesdites collectivités, soit directement de certaines fautes commises par leurs fonctionnaires et agents, soit de l'obligation où elles se sont trouvées de réparer les conséquences que ces fautes ont pu comporter au préjudice de tierces personnes, sont au nombre des litiges d'ordre individuel intéressant les fonctionnaires et agents susmentionnés et qui sont visés à l'article 14 du décret du 28 novembre 1953 ;

Considérant que, comme il a été ci-dessus indiqué, les sieurs Moritz, Jeannier, Lethenet, Jalquin, Chariot et Pluchat accomplissaient, lors de l'accident, leur service militaire à Belfort et faisaient ainsi, au sens de l'article 44 précité, l'objet d'une affectation dans cette ville, située dans le ressort du tribunal administratif de Besançon ; que, dans ces conditions, les dispositions du 3e alinéa dudit article 14, qui attribuent compétence au tribunal dans le ressort duquel siège l'auteur de la décision collective attaquée lorsque cette décision concerne des agents affectés à des emplois situés dans le ressort de plusieurs tribunaux administratifs, ne sauraient recevoir application en l'espèce ; qu'il appartenait au tribunal administratif de Besançon, en vertu des prescriptions du 1er alinéa de l'article 14 susmentionné du décret du 28 novembre 1953, de connaître du litige soulevé par la demande du sieur Moritz ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le requérant est fondé à solliciter l'annulation du jugement attaqué ;

Considérant que l'affaire est en état ; qu'il y a lieu de l'évoquer pour être statué immédiatement sur la demande du sieur Moritz ;

Sur la fin de non-recevoir opposée par le secrétaire d'Etat aux forces armées « Terre » ;

Considérant que, si la décision du tribunal des conflits du 26 mai 1954 confirmant l'arrêté de conflit, a été notifiée le 2 juillet 1954 à l'avoué qui avait été le mandataire du sieur Moritz devant la cour d'appel de Besançon, il ne ressort pas des pièces versées au dossier que cet avoué ait reçu du requérant des pouvoirs spéciaux l'habilitant à agir, pour le compte de son mandant, devant une autre juridiction que ladite cour d'appel ; que, dans ces conditions, la notification susmentionnée n'a pu faire courir à l'encontre du sieur Moritz le délai imparti pour saisir du litige la juridiction administrative, compétente pour en connaître ; que dès lors, la fin de non-recevoir soulevée par le ministre et tirée de ce que la demande de l'intéressé devant le tribunal administratif de Besançon aurait été formée après l'expiration du délai légal courant à partir de la notification susmentionnée de la décision susvisée du tribunal des conflits ne saurait être accueillie ;

Sur le moyen tiré de ce que le titre de perception délivré à l'encontre du sieur Moritz aurait été signé par une autorité incompétente :

Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 2 du décret du 23 janvier 1947 que les ministres peuvent habiliter par arrêté les fonctionnaires de leur administration centrale ayant au moins le grade d'administrateur civil de deuxième classe, ou un grade équivalent, à signer en leur nom certains actes d'ordre financier ; que le signataire du titre de perception attaqué, qui avait le grade d'administrateur de classe exceptionnelle, remplissait la condition prévue à l'article 2 susvisé du décret du 23 janvier 1947 ; qu'ainsi le secrétaire d'Etat à la guerre a pu, légalement, par un arrêté du 26 février 1952 donner à ce fonctionnaire délégation à l'effet de signer certains actes visés audit article 2 ; que, par suite, le sieur Moritz n'est pas fondé à soutenir que le titre de perception attaqué a été signé par une autorité incompétente ;

Sur la responsabilité :

Considérant que, si les fonctionnaires et agents des collectivités publiques ne sont pas pécuniairement responsables envers lesdites collectivités des conséquences dommageables pour la puissance publique de leurs fautes de service, il ne saurait être ainsi quand le préjudice qu'ils ont causé à ces collectivités est imputable à des fautes personnelles, détachables de l'exercice de leurs fonctions ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction, qu'au moment où s'est produit l'accident, le sieur Moritz et les cinq autres militaires qui avaient pris place dans la voiture, utilisaient en dehors du service et pour des fins personnelles un véhicule militaire ; que, nonobstant la circonstance que le sieur Moritz ne conduisait pas lui-même ledit véhicule au moment de l'accident, le dommage subi par l'Etat dû au fait de l'obligation dans laquelle il s'est trouvé de réparer le préjudice subi par les ayants droit de la victime n'en est pas moins une conséquence directe de la faute personnelle commise par l'intéressé en utilisant sciemment un véhicule de l'armée à des fins étrangères au service ;

Considérant que le requérant ne justifie pas d'une faute de service de l'administration qui serait de nature à faire disparaître ou à atténuer la responsabilité qui lui incombe dans l'accident dont s'agit ;

Mais considérant que les militaires impliqués dans l'affaire ne sont responsables envers l'Etat que des fautes qu'ils ont personnellement commises ; que leur part de responsabilité doit être appréciée en raison de la gravité des fautes imputables à chacun d'eux ; par suite, le sieur Moritz est fondé à soutenir que c'est à tort que, par la décision attaquée, il a été constitué débiteur solidairement avec les cinq autres militaires de la somme de 2 680 177 francs.

Considérant qu'il résulte de l'instruction que dans les circonstances de l'affaire, eu égard, notamment, aux faits que le sieur Moritz ne se trouvait pas dans la voiture automobile au moment où celle-ci a franchi le poste de police à la sortie du quartier et ne la conduisait pas au moment de l'accident, il sera fait une juste appréciation de la part de responsabilité que le requérant doit supporter en la fixant à un douzième des conséquences dommageables dudit accident ;

Sur le montant de l'indemnité :

Considérant qu'il ne ressort pas de l'instruction que l'indemnité de 2 680 177 francs versée par l'Etat aux ayants droit de la victime de l'accident ait été exagérée par rapport à l'importance du préjudice subi par ces derniers ; qu'ainsi la somme due par le sieur Moritz à l'Etat doit être fixée à 223 348 francs ;

Sur les dépens de première instance :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'affaire, de mettre les dépens de première instance à la charge de l'Etat ; … (Annulation ; sieur Moritz déchargé de l'obligation solidaire dont il a été constitué débiteur envers l'Etat ; l'indemnité due par lui à l'Etat fixée à 223 348 francs ; réformation dans ce sens de la décision du secrétaire d'Etat à la guerre du 9 avril 1952 ; dépens de première instance mis à la charge de l'Etat ; rejet du surplus des conclusions de la demande du sieur Moritz devant le tribunal administratif et du surplus des conclusions de sa requête devant le Conseil d'Etat ; dépens exposés devant le Conseil d'Etat à la charge de l'Etat.)