CIRCULAIRE N° 65-02/MA/DPC/8 sur la faute inexcusable en matière d'accidents du travail
Du 23 mars 1965NOR
Dans ses articles 467 et suivants, le code de la sécurité sociale, reprenant en cela le principe déjà posé par la loi de 1898, dispose que l'indemnité normale accordée en cas d'accident du travail peut être augmentée ou diminuée s'il y a faute inexcusable de l'employeur ou de la victime ; cependant, le code ne définit pas la faute inexcusable.
Il paraît nécessaire de faire connaître aux établissements et services quels sont les éléments dont la réunion peut impliquer la reconnaissance du caractère « inexcusable » d'une faute ayant entraîné un accident du travail, que cette faute soit le fait de l'employeur ou de la victime. Par ailleurs, il convient d'appeler l'attention des chefs de service et des cadres sur les sanctions qu'ils risquent d'encourir sur le plan pénal et sur le plan pécuniaire, en cas de faute inexcusable.
Tel est l'objet de la présente circulaire.
Elle n'a pas pour but de définir, a priori, les cas dans lesquels le ministre reconnaîtra ou non la faute inexcusable de l'administration, ou appliquera cette notion aux ouvriers accidentés : cela ne serait pas possible étant donné la diversité des situations et la nécessité d'apprécier, dans chaque affaire, tous les aspects du problème. Il s'agit seulement d'indiquer, en les commentant succinctement, les éléments dont la réunion implique d'après la jurisprudence et la doctrine, en l'absence d'une définition légale, le caractère de « faute inexcusable ».
C'est le 15 juillet 1941 que la cour de cassation, toutes chambres réunies, a, dans un arrêt veuve Villa ((Dalloz, 1941, p. 117) donné pour la première fois une définition précise de la faute inexcusable, retenue depuis lors par les tribunaux.
Aux termes de cet arrêt, la faute inexcusable s'entend « d'une faute d'une gravité exceptionnelle, dérivant d'un acte ou d'une omission volontaire, de la conscience du danger que devait en avoir son auteur, de l'absence de toute cause justificative et se distinguant par le défaut d'un élément intentionnel de la faute… ».
1.
En ce qui concerne la gravité exceptionnelle de la faute, il faut se souvenir que la notion de faute n'est définie nulle part en droit français et que sa mise en application a lieu par les tribunaux. C'est donc à la jurisprudence qu'il faut se référer et non à un critère préétabli.
1.1.
Les éléments pris en considération dans les arrêts pour la reconnaissance du caractère de gravité exceptionnelle de la faute de l'employeur paraissent se rapporter en particulier aux points suivants :
soit violation d'un texte officiel en matière de sécurité, soit inobservation d'une importante précaution ou règle de l'art ;
qualification insuffisante des cadres ou du personnel d'exécution dans le domaine considéré ;
mauvaise organisation du travail, absence de consignes, surveillance insuffisante ;
mauvaise qualité des matériels (outils, cordages, planches, etc.), mis à la disposition du personnel.
Le fait de n'avoir pas tenu compte d'avertissements antérieurs ou de précédents accidents est considéré comme circonstance aggravante. Une attitude inverse est souvent prise à l'égard de l'employeur dont le comportement montre un souci constant de la sécurité du travail.
Il est, bien entendu, nécessaire d'établir si la faute de gravité exceptionnelle relevée par l'enquêteur est bien la cause déterminante de l'accident et non un simple élément parmi diverses circonstances fortuites qui auraient pu à elles seules provoquer l'accident.
1.2.
Quant à la faute inexcusable de la victime, elle peut résulter de son initiative ou de sa désobéissance. Dans l'appréciation des initiatives on semble tenir compte de l'âge, de l'inexpérience, de la fréquence de certaines pratiques périlleuses qui font que l'auteur de la faute n'a pas toujours une pleine conscience du danger.
La désobéissance à une consigne générale ne constitue pas toujours à elle seule une faute inexcusable : on exige souvent, sauf si la matière est particulièrement dangereuse, que la victime ait agi malgré un rappel d'une consigne ou d'une interdiction.
2.
Le caractère volontaire de l'acte ou de l'omission suppose une attitude réfléchie et non une simple inattention ou inadvertance.
3.
Quant à la troisième condition, il est précisé que les tribunaux ne cherchent pas à savoir si l'employeur avait réellement conscience du danger, mais s'il aurait dû normalement en avoir conscience, étant donné la nature des travaux qu'il entendait faire exécuter.
4.
L'absence de cause justificative signifie qu'il faut placer l'accident dans le cadre des circonstances qui l'ont entouré : par exemple, un travail dangereux peut avoir été prescrit en vue d'éviter un danger plus grand.
5.
Enfin, la faute intentionnelle commise par la victime la prive de toute prestation en espèces, et celle de l'employeur permet à la victime d'obtenir une réparation intégrale dans le cadre du droit commun (art. 1382 du code civil).
On peut dire que la différence entre la faute inexcusable et la faute intentionnelle réside en ce que, dans la faute inexcusable, la volonté ne se porte que sur l'acte dangereux sans que le dommage soit recherché, tandis que, dans la faute intentionnelle, la volonté se porte sur le dommage représenté et voulu.
L'attention des cadres est en outre appelée sur le fait qu'un accident du travail causé par une faute inexcusable de l'administration peut entraîner à l'égard des agents de l'État, indépendamment d'une sanction disciplinaire pour faute lourde, une inculpation pour homicide, blessures ou coups involontaires. En effet, les articles 319 et 320 du code pénal, relatifs à l'homicide, aux blessures et coups involontaires, prévoient que sera punie de prison et d'amende toute personne qui, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation des règlements, aura commis involontairement un homicide ou en aura été involontairement la cause, ces peines ou l'une d'elles seulement sont encourues même s'il n'est résulté du défaut d'adresse ou de précautions, que des blessures ou coups.
Ces articles sont, on le voit, rédigés d'une manière si extensive qu'ils peuvent être mis en œuvre même dans les cas où la faute inexcusable ne serait pas retenue à l'égard de l'administration en ce qui concerne l'accident du travail.
D'autre part si, en cas d'accident du travail attribué à une faute inexcusable de l'administration, il est établi que cet accident résulte d'une faute de service particulièrement lourde commise par un chef d'établissement ou de service, voire par un agent d'encadrement responsable, à lui substitué dans la direction, la responsabilité personnelle de l'agent fautif peut être retenue et l'État peut poursuivre à l'encontre de cet agent, dans les conditions prévues par l'IM no 846/555/MA/DAAJC/CX/3 du 15 avril 1964, relative à la réparation du préjudice résultant pour l'État de fautes personnelles détachables de l'exercice de leurs fonctions commises par ses agents, le recouvrement du préjudice résultant pour lui de la majoration de l'indemnité versée à la victime.
MM. les directeurs d'établissements et chefs de service sont invités à porter cette circulaire à la connaissance de leurs personnels d'encadrement et autant que possible à la leur commenter.
Pour le ministre et par délégation :
Le secrétaire général pour l'administration du ministère des armées,
TRICOT.