LOI N° 66-396 portant amnistie d'infractions contre la sûreté de l'Etat ou commises en relation avec les événements d'Algérie.
Du 17 juin 1966NOR
L'ASSEMBLÉE NATIONALE ET LE SÉNAT ONT DÉLIBÉRÉ,L'ASSEMBLÉE NATIONALE A ADOPTÉ,LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE PROMULGUE LA LOI DONT LA TENEUR SUIT :
Chapitre CHAPITRE PREMIER. Amnistie de droit.
Art. 1er.
Sont amnistiées de plein droit les condamnations définitives pour crimes ou délits commis en relation directe avec les événements d'Algérie ainsi que pour crimes ou délits constituant une entreprise individuelle ou collective tendant à empêcher l'exercice de l'autorité de l'Etat ou à substituer à cette autorité une autorité illégale, ou commis en relation directe avec une telle entreprise, si les auteurs de ces infractions ont été punis d'une peine d'amende avec ou sans sursis ou d'une peine d'emprisonnement avec sursis, assortie ou non d'une amende, ou si, condamnés à une peine privative de liberté, ils ont été libérés avant la date de promulgation de la présente loi.
Art. 2.
Sont amnistiées de plein droit les infractions commises avant le 3 juillet 1962 en relation directe avec les événements d'Algérie, lorsque ces infractions ne sont punissables que d'une peine d'amende ou d'une peine privative de liberté, assortie ou non d'une peine d'amende, dont la durée n'excède pas dix années.
Sont également amnistiées de plein droit les faits d'insoumission ou de désertion commis avant le 3 juillet 1962 en relation directe avec les événements d'Algérie, à condition que ces faits ne soient pas connexes à une autre infraction non amnistiée.
Art. 3.
Sont amnistiées de plein droit les infractions commises entre le 1er novembre 1954 et le 3 juillet 1962 dans le cadre d'opérations de police administrative ou judiciaire, du rétablissement de l'ordre ou de la lutte contre les entreprises tendant à empêcher l'exercice de l'autorité de l'Etat ou à substituer à cette autorité une autorité illégale.
Art. 4.
Toutes contestations relatives à l'amnistie de droit prévue par la présente loi, si elles concernent des condamnations pénales définitives, sont portées devant la chambre de contrôle de l'instruction de la cour de sûreté de l'Etat et jugées suivant la procédure prévue par l'article 778 ; alinéa 3, du code de procédure pénale. En cas de cassation, l'affaire est, s'il y a lieu, renvoyée devant la même chambre autrement composée.
Dans le cas où la requête est rejetée, le requêrant est condamné aux frais.
En l'absence de condamnation définitive, les contestations sont soumises à la juridiction compétente pour statuer sur la poursuite.
Chapitre CHAPITRE II. Amnistie par mesure individuelle.
Art. 5.
Le Président de la République peut admettre par décret au bénéfice de l'amnistie les personnes qui sont ou seront condamnées définitivement pour crimes ou délits commis avant la promulgation de la présente loi et en relation directe avec les événements d'Algérie, ou constituant une entreprise individuelle ou collective tendant à empêcher l'exercice de l'autorité de l'Etat ou à substituer à cette autorité une autorité illégale, ou en relation directe avec une telle entreprise.
Chapitre CHAPITRE III. Amnistie des sanctions disciplinaires ou professionnelles.
Art. 6.
Sont amnistiés les faits commis avant la date de promulgation de la présente loi et en relation directe avec les événements d'Algérie, ou constituant une entreprise individuelle ou collective tendant à empêcher l'exercice de l'autorité de l'Etat ou à substituer à cette autorité une autorité illégale, ou en relation directe avec une telle entreprise, en tant qu'ils constituent des fautes passibles de sanctions disciplinaires ou professionnelles.
Toutefois, si ces mêmes faits ont donné lieu à une condamnation pénale, l'amnistie des sanctions disciplinaires ou professionnelles est subordonnée à l'amnistie de la condamnation pénale.
Art. 7.
Les contestations relatives au bénéfice de l'amnistie des sanctions disciplinaires ou professionnelles définitives sont portées devant l'autorité ou la juridiction qui a rendu la décision.
L'intéressé peut saisir cette autorité ou cette juridiction aux fins de faire constater que le bénéfice de l'amnistie lui est effectivement acquis.
En l'absence de décision définitive, les contestations sont soumises à l'autorité ou à la juridiction compétente pour statuer sur la poursuite.
Art. 8.
Si les sanctions disciplinaires ou professionnelles définitives ont été prononcées par une autorité ou une juridiction dont le siège était établi sur le territoire d'un Etat alors placé sous la souveraineté, le protectorat ou la tutelle de la France et ayant accédé depuis à l'indépendance, il sera procédé conformément aux alinéas suivants.
Les sanctions prononcées contre les personnes n'ayant pas la qualité de fonctionnaires ou d'agents de l'Etat ou de collectivités locales, seront réputées avoir été prononcées par l'autorité qui aurait été qualifiée ou par la juridiction qui aurait été compétente en dernier ressort si les faits ayant donné lieu à ces sanctions avaient été commis à Paris.
Les contestations relatives au bénéfice de l'amnistie des sanctions prononcées contre des fonctionnaires ou agents de l'Etat ou des collectivités locales seront soumises à l'autorité dont dépendent ces fonctionnaires ou ces agents. Lorsqu'ils ne dépendent d'aucune autorité, les contestations seront soumises à celle dont dépend leur ancien corps ; si les membres de ce corps ont été intégrés dans plusieurs corps relevant d'autorités différentes, le ministre chargé de la fonction publique désignera l'autorité compétente.
Chapitre CHAPITRE IV. Effets de l'amnistie.
Art. 9.
L'amnistie entraîne, sans qu'elle puisse jamais donner lieu à restitution, la remise de toutes les peines principales, accessoires et complémentaires, notamment de la relégation ainsi que toutes incapacités ou déchéances subséquentes. Elle rétablit l'auteur de l'infraction dans le bénéfice du sursis qui a pu lui être accordé lors d'une condamnation antérieure.
Art. 10.
En cas de condamnation pour infraction multiples, le condamné est amnistié si l'infraction amnistiée est légalement punie de la peine la plus forte ou d'une peine égale à celles prévues pour les autres infractions poursuivies.
Art. 11.
L'amnistie s'étend aux faits d'évasion punis des peines de l'article 245 du code pénal, commis au cours de l'exécution d'une condamnation effacée par l'amnistie, ainsi qu'aux infractions à l'interdiction de séjour accessoire ou complémentaire d'une condamnation effacée par l'amnistie.
Art. 12.
L'amnistie n'entraîne pas la réintégration dans les fonctions, emplois, professions, grades, offices publics ou ministériels. En aucun cas elle ne donne lieu à reconstitution de carrière.
Elle entraîne la réintégration dans les divers droits à pension à compter de la date de promulgation de la présente loi en ce qui concerne l'amnistie de droit, et à compter du jour où l'intéressé est admis à son bénéfice en ce qui concerne l'amnistie par mesure individuelle.
L'amnistie ne confère pas la réintégration dans l'ordre de la Légion d'Honneur, dans l'ordre de la Libération, ni dans le droit au port de la Médaille Militaire. Toutefois, la réintégration peut être prononcée, pour chaque cas individuellement, à la demande du garde des sceaux, ministre de la justice et, le cas échéant, du ministre intéressé, par décret du Président de la République, pris sur la proposition du grand chancelier compétent, après avis conforme du conseil de l'ordre.
Art. 13.
L'amnistie ne préjudicie pas aux droits des tiers. En cas d'instance sur les intérêts civils, le dossier pénal est versé aux débats et mis à la disposition des parties.
Si la juridiction de jugement a été saisie de l'action publique avant la promulgation de la présente loi, cette juridiction reste compétente pour statuer, le cas échéant, sur les intérêts civils.
L'amnistie n'est pas applicable aux frais de poursuite et d'instance avancés par l'Etat. La contrainte par corps ne peut être exercée contre les condamnés ayant bénéfice de l'amnistie.
Art. 14.
L'amnistie ne peut en aucun cas mettre obstacle à l'action en révision devant toute juridiction compétente en vue de faire établir l'innocence du condamné.
Art. 15.
Il est interdit à toute personne en ayant eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions, de rappeler sous quelque forme que ce soit ou de laisser subsister dans tout document quelconque, les condamnations pénales, les sanctions disciplinaires ou professionnelles et les déchéances effacées par l'amnistie. Les minutes des jugements, arrêts et décisions échappent toutefois à cette interdiction.
Art. 16.
L'amnistie reste sans effet sur les mesures ou décisions prises en vertu de la loi du 24 juillet 1889 relative à la protection des enfants maltraités ou moralement abandonnés. Toutefois, pour l'application de l'article 15 de ladite loi, l'amnistie est assimilée à la réhabilitation.
Elle reste aussi sans effet sur les décisions prononcées par application des articles 8, 15, 16 et 28 de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante. Toutefois, les fiches relatives à ces décisions prononcées pour tous les faits antérieurs au 8 janvier 1966 sont supprimées du casier judiciaire lorsque le mineur atteint l'âge de vingt et un ans.
La présente loi sera exécutée comme loi de l'Etat.
Fait à Paris, le 17 juin 1966.
C. DE GAULLE.
Par le Président de la République :
Le Premier ministre,
Georges POMPIDOU.
Le ministre d'Etat chargé de la réforme administrative,
Louis JOXE.
Le garde des sceaux, ministre de la justice,
Jean FOYER.
Le ministre de l'intérieur,
Roger FREY.
Le ministre des armées,
Pierre MESSMER.
Le ministre de l'économie et des finances,
Michel DEBRE.