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Archivé DIRECTION CENTRALE DU SERVICE DE SANTÉ DES ARMÉES : Sous-Direction action scientifique et technique ; Bureau technique

INSTRUCTION N° 744/DEF/DCSSA/AST/TEC relative à l'utilisation de substances modifiant la vigilance en opérations.

Abrogé le 04 mai 2015 par : INSTRUCTION N° 744/DEF/EMA/SC_PERF/BORG - N° 744/DEF/DCSSA/PC/MA relative à l'utilisation militaire de substances modifiant la vigilance. Du 31 mars 2008
NOR D E F E 0 8 5 1 1 0 3 J

Introduction.

Au titre de sa mission permanente de soutien des forces, le service de santé des armées (SSA) est chargé de définir les conditions d'utilisation, en opérations, de substances qui maintiennent l'éveil ou facilitent un sommeil réparateur.

Cette démarche qui reste étroitement liée au contexte exigeant des opérations militaires et à leur environnement particulier doit associer étroitement le médecin militaire au commandement dans son rôle de conseiller.

Cette mission s'explique par le contexte international et des aspects juridiques, éthiques et déontologiques dans ce domaine, les connaissances scientifiques et médicales actuelles concernant les substances agissant sur la vigilance autorisent leur mise en usage par le SSA afin de combler un vide réglementaire permettant d'éviter ainsi l'automédication.

La présente instruction a pour but de définir le cadre d'emploi de ces substances modifiant la vigilance, d'indiquer les molécules utilisables et leurs modalités de décision d'emploi et de prescription.

1. Rappel.

1.1. Les mesures générales de gestion de la vigilance en opération.

Avant de proposer au combattant une aide de type pharmaceutique modifiant la vigilance, le commandement aura fait mettre en œuvre des mesures générales préventives en liaison avec le médecin conseiller. Seront envisagées ainsi l'identification des personnels en fonction de la tolérance connue à une privation prolongée de sommeil, l'identification de personnels entraînés aux contraintes prévues de la mission, la possibilité de prendre régulièrement des petits sommes d'au moins vingt minutes plusieurs fois pendant la mission, ainsi que différentes méthodes de type ergonomiques ou organisationnelles.

Lorsque ces mesures s'avèrent inefficaces ou inapplicables, il pourra être décidé de s'appuyer sur l'utilisation de substances de type pharmaceutique modifiant la vigilance.

2. Cadre d'emploi.

2.1. Les opérations militaires concernées.

Les types d'opérations militaires pouvant justifier la prise éventuelle de substances qui agissent sur le niveau de vigilance des combattants sont les opérations dites soutenues et les opérations dites continues. Les premières se traduisent par une activité militaire quasi ininterrompue ne permettant aucun sommeil réparateur ; les secondes concernent une activité militaire de plus longue durée n'autorisant qu'une récupération partielle (par exemple : un sommeil diurne, de courte durée et fractionné).

À titre d'exemples, on peut citer le fonctionnement 24 heures sur 24 des centres opérationnels pour l'armée de terre, la continuité entre le poste de veille et le poste de combat pour la marine, la mission nucléaire ou le travail au sol en ambiance nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique (NRBC) avec des tenues de protection pour l'armée de l'air.

2.2. Les personnels concernés.

Les personnels susceptibles de bénéficier d'une aide de type pharmaceutique modifiant la vigilance sont désignés par le commandement (cf. point 4.1.) en fonction de :

    • l'intensité de certaines phases de combat conduites jour et nuit ;
    • de la nécessité d'engager les hommes au-delà de leurs capacités communément admises en termes de stress et de fatigue mettant en jeu les limites physiologiques de vigilance et de performance cognitive.

L'administration de ces substances modifiant la vigilance se fera selon les modalités prévues dans les points 4.1. et 4.2. de la présente instruction.

3. Substances proposables.

Le SSA définit et met à disposition des substances modifiant la vigilance dont les caractéristiques sont précisées en annexe I. et qui relèvent du domaine de la pharmacopée (médicaments éveillants ou hypnotiques) ou de celui des alicaments (caféine).

4. Modalités de décision d'emploi.

4.1. Rôle du commandement.

Le commandement a la charge d'évaluer si la nature de la mission à effectuer et/ou l'évolution prévisible de la situation sur le théâtre d'opération rendent souhaitable le recours à une aide de type pharmaceutique et de transmettre la décision d'emploi au médecin du SSA.

4.2. Rôle du médecin.

Le médecin, conseiller du commandement, répond à l'expression du besoin des forces en prenant en charge la prescription lui-même ou en donnant les consignes de prescription aux médecins placés sous son autorité si c'est le cas. Il s'assure que ces prescriptions s'appuient sur la charte d'emploi de ces substances modifiant la vigilance, figurant en annexe, notamment en ce qui concerne la délivrance de l'information au combattant, le recueil de son consentement et la réalisation d'un essai préalable.

5. Modalités de prescription.

5.1. Information et consentement du combattant.

Avant toute prise d'une substance modifiant la vigilance en situation opérationnelle, le combattant doit avoir reçu une information sur la nature des produits et donné son consentement par écrit à l'occasion de l'essai préalable (cf. annexe II.). Tout militaire reste libre de refuser la prise de substances de ce type en opération et/ou lors de l'essai préalable.

5.2. Prescription.

Le médecin en charge de la prescription répond à une demande du commandement. Si les circonstances opérationnelles justifient une modification de la vigilance et que la prescription ne présente pas de risque, fût-ce en dehors des indications de son autorisation de mise sur le marché (AMM), une abstention pourrait être considérée comme fautive au sens de l'article 223-6 du code pénal.  Le cadre d'emploi est donc licite sous couvert d'une obligation d'information et de sécurité (cf. point 5.1.).

La prescription doit respecter le principe de proportionnalité adaptée au contexte selon qu'il s'agit de situations critiques et de survie, de maintenance du niveau de vigilance et de performance cognitive de combattants impliqués dans des opérations de type continu ou d'induction de sommeil.

5.3. Traçabilité.

L'indication de mise sous substance modifiant la vigilance par le commandement, l'acceptation ou le refus de cette prise par le militaire devront être reportés dans le dossier médical.

La traçabilité des prises de substances modifiant la vigilance sera réalisée par l'inscription des résultats de l'essai préalable et de la nature du ou des produits ingérés ainsi que les doses administrées sur le livret médical.

Le suivi médical et des éventuels effets secondaires observés sera assuré de manière habituelle. Ces éléments contribueront à l'établissement de données utilisables pour toute analyse ultérieure de type médical ou médico-légal.

5.4. Effets recherchés.

Les diminutions de performances, quelles soient psychomotrices ou cognitives, dans les processus de décision ou dans le niveau de vigilance, sont souvent sanctionnées de façon dramatique. Cette approche pragmatique et non dogmatique de l'utilisation opérationnelle de substances modifiant la vigilance en situations d'opérations soutenues ou continues, permet d'offrir au combattant des contre-mesures supplémentaires pour lutter contre les effets néfastes de la fatigue avec un ratio bénéfice/risque acceptable.

6. Mise en application de la présente instruction.

Les dispositions contenues dans la présente instruction prendront effet à compter du jour de sa publication au Bulletin officiel des armées.

Elles feront l'objet, en tant que de besoin, d'une actualisation périodique, en vue de les adapter à l'évolution de la pharmacopée.

Pour le ministre de la défense et par délégation :

Le médecin général des armées,
directeur central du service de santé des armées,

Bernard LAFONT.

Annexes

annexe I. Substances modifiant la vigilance proposables en situations opérationnelles.

1. LE MODAFINIL.

Le modafinil ou diphénylméthylsulfinil-2-acétamide est commercialisé en France sous le nom de MODIODAL® par le laboratoire L. LAFON groupe CEPHALON. Il s'agit d'une substance éveillante et non d'un anti-sommeil. Ses indications thérapeutiques sont la narcolepsie et les hypersomnies idiopathiques. Chez le sujet sain, des expérimentations ont permis de mettre en évidence le maintien d'un bon état d'éveil et d'un bon niveau de performances psychomotrices et cognitives lors de privations totales de sommeil de soixante quatre heures. Aucun effet secondaire ou toxique n'a été mis en évidence aux doses préconisées, soit trois administrations de 200 mg de modafinil par 24 heures.

2. LA CAFÉINE À LIBÉRATION PROLONGÉE.

La caféine à libération prolongée est une nouvelle forme galénique de caféine permettant le maintien d'un taux plasmatique de caféine pendant six heures sans les effets secondaires habituels de la caféine solution, c'est-à-dire sans tachycardie, sans tremblement et sans effet diurétique ; le principal effet obtenu est alors un éveil de bonne qualité. De plus des expérimentations ont montré un effet chronobiotique lors de l'étude de la resynchronisation des rythmes biologiques après un vol transméridien. Ces effets sont obtenus pour une dose de 300 mg toutes les 12 heures. La caféine permet plus de rétablir des performances dégradées que d'améliorer des performances nominales ; c'est donc bien en tant que contre-mesure « alicamentaire » à la fatigue physiologique et psychologique que cet alicament doit être utilisé.

3 LES HYPNOTIQUES.

Les hypnotiques préconisés dans le cadre d'une aide pharmaceutique à un repos compensateur sont des hypnotiques de type non benzodiazépiniques, comme le zolpidem, commercialisé en France sous le nom de STILNOX® ou la zopiclone, commercialisé en France sous le nom d'IMOVANE®.

4 REMARQUE.

Toute utilisation d'une autre substance pharmaceutique, notamment les substances de type amphétaminiques, la cocaïne, la mélatonine et la tyrosine, sera proscrite en l'état actuel des connaissances et dans le cadre d'emploi défini dans l'instruction de référence.

annexe II. Précautions à mettre en oeuvre avant l'utilisation de substances modifiant la vigilance en situation opérationnelles. «charte d'emplois».

1. PRÉAMBULE.

Les précautions à mettre en œuvre avant toute utilisation de substances modifiant la vigilance lors de situations opérationnelles doivent comprendre en premier lieu une information complète sur la nature des produits proposés, leurs actions pharmacologiques et les éventuels effets secondaires rapportés dans la littérature. Après l'obtention d'un consentement éclairé de la part des sujets susceptibles d'ingérer ces molécules, un essai dit « de précaution » sera entrepris. Le combattant reste libre d'accepter ou de refuser la prise de ces substances modifiant la vigilance décidée par le commandement lorsque la situation opérationnelle le nécessite et prescrites par le médecin militaire.

2. NÉCESSITÉ D'UN ESSAI INDIVIDUEL PRÉALABLE.

2.1. Le modafinil.

En raison de quelques différences inter individuelles et afin que chaque sujet susceptible d'ingérer ce produit vérifie par lui-même l'importance de l'effet éveillant obtenu, un essai individuel est obligatoire avant toute utilisation opérationnelle.

2.2. La caféine à libération prolongée (300 mg).

La tolérance est meilleure que l'équivalent de caféine en diffusion non ralentie (3 cafés expresso) mais elle présente des variations individuelles. Les études d'évaluation de cet alicament ont montré la plus grande sensibilité des femmes, notamment celles qui utilisent une contraception orale (modification de la pharmacocinétique), ainsi que la meilleure tolérance quand la prise s'effectue en situation de privation de sommeil et de fatigue. Un essai individuel doit donc être effectué.

2.3. Le zolpidem et la zopiclone.

Ces substances hypnotiques de type non benzodiazépinique ne présentent que peu ou pas les effets secondaires observés lors de l'utilisation de substances de type benzodiazépine. Néanmoins, il existe des sensibilités inter individuelles portant sur l'efficacité (puissance de l'effet hypnogène), la tolérance ou la durée d'action de ces substances ; un essai individuel s'avère utile pour évaluer ces paramètres.

3. L'ESSAI INDIVIDUEL PRÉALABLE.

Il doit être réalisé avant l'utilisation opérationnelle avec mention de survenue d'effets indésirables éventuels dans le livret médical.

Il s'adresse à tout combattant susceptible d'intervenir dans le cadre d'une opération militaire telle que celles définies chapitre II dans l'instruction de rattachement.

Il doit être précédé d'une instruction des personnels concernés sur l'utilisation nominale des produits et leurs éventuels effets indésirables ; un guide d'information, publié par le SSA, sera mis à la disposition des médecins.

Tout militaire peut refuser l'essai préalable et/ou la prise de remède modifiant la vigilance en opération ; cette décision devra être reportée dans le dossier médical. Une mention spéciale devra également être inscrite dans le livret médical dans le cas où le militaire concerné revient sur sa décision d'utilisation ou de non utilisation de cette aide de type pharmaceutique.

Au vu des résultats obtenus lors de l'essai, le médecin militaire décidera de la possible utilisation de la substance par le sujet ou non.

4. RÈGLES D'UTILISATION.

L'utilisation des substances modifiant la vigilance ne se fait que sur indication du commandement et après consultation de la hiérarchie médicale.

Le modafinil, en raison de la puissance de son effet éveillant, sera réservé aux situations critiques et de survie ; la caféine à libération prolongée pourra être utilisée pour aider à maintenir le niveau de vigilance et de performance cognitive de combattants impliqués dans des opérations de type continu n'autorisant que peu de sommeils récupérateurs ; la prescription d'hypnotiques sera fonction du temps prévisible de repos dont pourra bénéficier le combattant.

Le produit désigné ne sera délivré que pour la durée de la mission à accomplir et en quantité juste suffisante.

Les hypnotiques ou sédatifs ne seront pas embarqués dans les aéronefs afin d'éviter une utilisation en vol par inadvertance. La prise d'hypnotiques au sol entraîne l'interdiction de vol, de briefing ou de préparation de vol pendant 6 heures après la prise.

L'évolution de l'état de fatigue des personnels sous substances modifiant la vigilance sera contrôlée, dans la mesure du possible, en étant au contact le plus souvent possible avec les sujets concernés.

Une attention particulière sera portée aux interactions médicamenteuses possibles avec des médicaments délivrés sans ordonnances.

Les produits non utilisés, seront récupérés en fin d'opération.

Un compte-rendu final sera adressé à la DCSSA, sous direction action scientifique et technique, via la chaîne hiérarchique, décrivant à la fois les tâches opérationnelles et les utilisations des produits concernés.