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DIRECTION CENTRALE DE L'INTENDANCE MARITIME : Bureau des Approvisionnements de la Flotte, des Transports généraux et des Affrètements État-Major général Direction centrale des Constructions navales Cabinet du Ministre

CIRCULAIRE (INT/4) relative aux mesures à prendre en cas d'abordage entre navires de l'Etat et du commerce (A)

Du 22 octobre 1929
NOR

Précédent modificatif :  1er modificatif du 29 novembre 1938 (BO/M, 1939/1, p. 137).

Texte(s) abrogé(s) :

Circulaire du 31 août 1911 (BO/M, p. 542).

Circulaire du 9 octobre 1915 (BO/M, p. 264).

Circulaire du 31 mai 1916.

Circulaire du 21 novembre 1918.

Circulaire du 18 mars 1919.

Circulaire du 4 septembre 1919.

Circulaire du 19 octobre 1920.

Classement dans l'édition méthodique : BOEM  362.1.3.

Référence de publication : BO/M, p. 746 ; BOR/M, p. 470.

1. Constatations.

Les prescriptions relatives aux mesures à prendre en cas d'abordage entre bâtiments de l'Etat et navires du commerce faisant l'objet de réglementations diverses, éparses dans de nombreuses circulaires, j'ai décidé de codifier ces prescriptions dans un texte unique ; tel est le but de la présente circulaire.

En premier lieu, j'appelle votre attention sur l'obligation, pour les commandants de navires de guerre, chaque fois que les circonstances le permettent, de ne pas s'éloigner du lieu de l'accident avant d'avoir constaté contradictoirement les avaries survenues aux deux bâtiments abordés et de les avoir évaluées, autant que possible, d'accord avec le navire de commerce.

Cette constatation contradictoire doit être effectuée, sous toutes réserves, même si le navire de commerce a seul subi des avaries.

Une question d'humanité ne permet pas d'abandonner un navire qui peut être gravement atteint sans qu'il y paraisse tout d'abord. En outre, cette constatation immédiate et contradictoire permettra, le plus souvent, d'éviter de graves difficultés ultérieures dans le règlement de l'affaire. Il est d'ailleurs à noter qu'au premier moment le bâtiment abordeur ne se rend souvent pas compte de l'importance des dégâts occasionnés, qui sont parfois considérés par lui comme insignifiants, alors qu'une enquête postérieure aboutit à l'allocation d'indemnités élevées.

Il est indispensable, d'autre part, de s'efforcer d'établir nettement les causes de l'abordage par une enquête effectuée parallèlement par deux commissions, comme il a été stipulé aux titres VII et suivants de la présente circulaire.

2. Nominations d'experts.

A défaut d'entente entre le commandant du bâtiment de l'Etat et le capitaine du navire de commerce ou son représentant, et si les avaries ont une certaine importance ; il conviendra de les faire constater et évaluer par deux experts désignés contradictoirement par les deux parties et qui, s'ils ne tombent pas d'accord, en choisiront un troisième pour les départager.

Si les avaries sont de moindre importance, les deux parties pourront recourir à un expert unique.

L'autorité compétente pour désigner l'expert de la marine varie suivant les deux circonstances ci-après :

  • 1. Si l'on prévoit que la marine n'aura à exercer aucun recours pour avaries, l'expert peut être désigné :

    • a).  Par le commandant supérieur, si le bâtiment fait partie d'une force navale présente sur les lieux ;

    • b).  Par le commandant du navire de l'Etat en cause, si le bâtiment navigue isolément ;

    • c).  Par le Préfet maritime, si l'abordage a eu lieu aux abords immédiats d'un port militaire ;

    • d).  Par l'administrateur de l'inscription maritime agissant aux lieu et place du commandant du bâtiment de l'Etat, si cet officier est absent et si l'abordage a eu lieu dans les eaux d'un quartier dont le chef-lieu n'est pas un port militaire. Cet expert est choisi de préférence dans le personnel de la marine militaire, il ne lui est dû, dans ce cas, aucune rétribution.

  • 2. Si l'on prévoit, au contraire, que la marine aura à exercer contre l'armateur un recours, qui, légalement, est de la compétence du tribunal de commerce, on devra demander la désignation des experts :

    • a).  Dans un port français, au tribunal de commerce ;

    • b).  A l'étranger, au consul de France.

3. Interdiction d'engager le département et de compromettre en son nom.

En tout état de cause, aucune action en indemnité pour fait d'abordage entre navires de l'Etat et du commerce ne devra être intentée par la marine sans mon autorisation préalable. S'il y avait urgence absolue, il conviendrait de me saisir sans délai par la voie télégraphique, et les instructions nécessaires seraient données par la même voie.

De même, aucune autorité maritime ne pourra conclure de compromis, d'arbitrage ou autre, au nom de l'Etat, les compromis de l'espèce étant interdits par la loi (article 1004 du code de procédure civile).

Lors des ententes préalables pour les désignations d'experts, et aussi dans les procès-verbaux que les représentants de la marine auraient à signer en qualité d'experts, il conviendra d'éviter d'employer des expressions susceptibles d'engager le principe de la responsabilité de la marine.

Aucun engagement ne devra être pris localement si le litige doit être réglé par le département.

4. Mesures conservatoires à prendre.

Si l'abordage a lieu avec un navire de commerce d'une nation étrangère ou, d'une façon générale, avec un navire dont le départ est imminent, il conviendra de prendre, sans délai, toutes les mesures conservatoires nécessaires pour garantir les intérêts de l'Etat, et j'appelle à ce sujet toute votre attention sur la nécessité d'agir avec la plus grande rapidité, un retard de vingt-quatre heures pouvant, dans certains cas, être très préjudiciable (dans le cas, par exemple, où le capitaine est obligé, en vertu de sa charte-partie, d'arriver dans un port déterminé à une date fixée, sous peine de pénalités).

Je signale à ce sujet que les consuls et le service des douanes ont l'habitude de ces mesures conservatoires et que l'on trouve en eux, la plupart du temps, des auxiliaires précieux, auxquels il ne faut pas hésiter à recourir, même si les bureaux sont officiellement fermés.

En particulier, si le bâtiment de l'Etat a subi des avaries d'une certaine importance, il y aura lieu, au cas où le capitaine ou le consignataire du navire de commerce se refuserait à reconnaître par écrit sa responsabilité, de demander sans délai au président du tribunal de commerce, ou, à défaut, à toute autorité compétente du lieu, d'autoriser la saisie conservatoire du navire à défaut de caution, conformément aux articles 417 et suivants du code de la procédure civile.

5. Compétence en cas de litige.

Je rappelle, en ce qui concerne la compétence, que la juridiction ordinaire (tribunal de commerce) ne peut être saisie que si l'Etat est demandeur. Dans le cas contraire, c'est le ministre qui est compétent pour déterminer l'indemnité à payer, sauf recours des armateurs au conseil d'Etat.

6. Mesures pour activer la disponibilité des navires de commerce.

Pour éviter le payement de surestaries très souvent plus importantes que les dommages purement matériels, il y a très grand intérêt à activer la disponibilité du navire de commerce avarié à la suite d'un abordage avec un bâtiment de l'Etat, surtout lorsque la marine paraît responsable de l'accident ou même lorsqu'il y a doute sur les causes d'abordage. Si le capitaine ne peut faire procéder rapidement, par les soins des entreprises locales, aux réparations reconnues indispensables pour que le navire puisse reprendre la mer, il conviendra de lui proposer de faire effectuer ces réparations par les soins de la marine (1), mais sous les réserves suivantes :

  • 1. Un état général des avaries subies par le navire de commerce sera établi contradictoirement et, au besoin, à dire d'experts à désigner sans délai ; cet état sera estimatif, si possible ;

  • 2. Un état des réparations reconnues indispensables et effectuées par la marine ou à son compte sera établi contradictoirement et, au besoin à dire d'experts à désigner sans délai ; cet état sera descriptif et estimatif ;

  • 3. Ces deux états, signés des deux parties, seront établis en double expédition dont une pour le capitaine du navire abordé ;

  • 4. A ces états sera jointe une déclaration du capitaine du navire abordé, établie en double expédition (une pour chaque partie en cause), déclaration qui spécifiera que le fait, par la marine, d'avoir effectué tout ou partie des réparations ne saurait nullement être considéré comme une reconnaissance de sa responsabilité et que la mesure n'a été prise, après entente entre l'armement et la marine, que dans le seul but de permettre au navire abordé de continuer sa navigation, tous les droits des deux parties restant réservés. Dans le cas où le capitaine refuserait de signer la déclaration ci-dessus, le commandant du bâtiment de l'Etat prendrait acte de ce refus, et le ferait autant que possible constater par qui de droit (2) pour permettre à la marine de rejeter ultérieurement des demandes d'indemnités exagérées.

  • 5. S'il s'agit d'un navire de commerce étranger, les travaux ne devront être entrepris qu'après versement d'une caution ou d'un dépôt de garantie dont le montant devra être calculé de façon à couvrir éventuellement les frais engagés par le département.

7. Commissions d'enquête.

En ce qui concerne les commissions d'enquête, les règles suivantes devront être observées, dans toute la mesure où les circonstances le permettront.

D'après les articles 62 et 85 du décret sur le service à bord du 18 février 1928 (3), lors d'un abordage grave se produisant avec un bâtiment de l'Etat, une commission doit être nommée par le commandant supérieur pour enquêter sur les causes de l'accident.

Je précise que la réunion de cette commission d'enquête devra avoir lieu, dans tous les cas, même lorsque la cause de l'abordage sera indiscutable et les avaries peu importantes.

Lorsque le bâtiment de l'Etat naviguera isolément, le commandant se contentera d'établir un rapport très précis de l'abordage, l'adressera, et sans retard, soit au commandant de la force navale dont il dépend, soit directement au ministre.

Il est bien entendu que le procès-verbal prescrit par l'article 104 du décret du 18 février 1928 (4) et l'article 47 de l'arrêté du 15 mars 1928 (5), devra toujours être établi dans les conditions prévues par ces règlements.

D'un autre côté, d'après le décret (travaux publics) du 19 mars 1927 (6) pris pour l'application de l'article 86 de la loi du 17 décembre 1926 (7), lorsqu'il y a abordage, les capitaines du commerce sont soumis à une enquête à laquelle procèdent les administrateurs de l'inscription maritime, assistés d'un inspecteur de la navigation et d'un technicien, ou lors de France l'autorité consulaire, également assistée d'un ou plusieurs techniciens et, à défaut, le commandant d'un bâtiment de guerre français présent sur les lieux.

Le rôle des commissions d'enquête est précisé par les articles suivants.

8. Rôle de la commission prévue par le décret sur le service à bord.

La commission prévue par les articles 62 et 85 du décret du 18 février 1928 (cf. nota 4) est une commission essentiellement militaire, dont la composition est fixée par l'article 46 bis de l'arrêté du 5 mars 1928 (cf. nota 5) modifié le 31 janvier 1929.

Elle a pour but d'examiner la responsabilité du commandant du bâtiment de guerre abordeur ou abordé ; mais elle doit en même temps recueillir tous les témoignages et tous les renseignements nécessaires en vue de sauvegarder les intérêts du Trésor.

Elle doit interroger toutes les personnes susceptibles de l'éclairer et, par suite, recueillir les déclarations du capitaine et de l'équipage du navire de commerce et éventuellement celle de tiers témoins de l'accident. Ces interrogatoires devront être aussi complets que possible, en raison des difficultés, presque insurmontables qui se produiraient s'il fallait retrouver ultérieurement les hommes composant, au moment de l'abordage, l'équipage du navire de commerce.

Les interrogatoires et déclarations seront recueillis par écrit ; il en sera donné lecture aux déclarants qui en reconnaîtront l'exactitude et y apposeront leur signature.

Dans le cas où la partie adverse ou un tiers refuserait de déposer, la commission en prendrait acte et le mentionnerait à toutes fins utiles dans son rapport.

L'enquête doit avoir lieu le plus tôt possible après l'accident, et elle ne doit en aucun cas retarder le départ du bâtiment de commerce.

9. Enquête prévue par la loi du 17 décembre 1926 (7).

Elle a pour but de déterminer la responsabilité encourue par le capitaine du navire de commerce.

Elle est faite conformément au décret (travaux publics, services de la marine marchande) en date du 19 mars 1927 (6).

10. Constitution des dossiers.

Les dossiers devront comprendre :

  • 1. Les procès-verbaux des deux enquêtes prévues aux titres VIII et IX ci-dessus ;

  • 2. Les rapports des commandants et de l'officier de quart des bâtiments en cause ;

  • 3. Les extraits certifiés des journaux de bord et de machine ;

  • 4. Les rapports d'expertise.

Il conviendra d'y joindre toujours des croquis ou figures explicatives très claires et même des photographies.

11. Transmission des dossiers.

Les divers documents énumérés au titre X seront transmis au commandant de la force navale indépendante (8) à laquelle appartient le bâtiment de l'Etat abordeur ou abordé.

Cette autorité me transmettra le dossier, avec son avis personnel et sous le timbre état-major général 4e bureau :

  • a).  Si elle n'a pas compétence pour régler le litige (bâtiment isolé dépendant directement du ministre, litige dont l'importance dépasse la limite de la compétence, accord ne pouvant être fait localement) ;

  • b).  Si, ayant réglé le litige, elle estime que des responsabilités peuvent être encourues tant par les officiers de la marine militaire que par les capitaines de commerce.

12. Examen des dossiers.

L'état-major général (4e bureau) saisira lui-même la commission supérieure des naufrages qui appréciera les responsabilités encourues au point de vue nautique, formulera des propositions au sujet des sanctions disciplinaires ou pénales à prendre, le cas échéant, à l'égard du personnel du navire de commerce en cause, et dira si la responsabilité civile de la marine ou des propriétaires ou armateurs du navire de commerce doit être engagée. La décision relative à l'indemnité réclamée, le cas échéant, par le navire de commerce sera prise sous le timbre : « Intendance maritime, bureau des approvisionnements de la flotte, transports généraux et affrètements », aussitôt que l'avis de la commission supérieure des naufrages aura été adressé à la direction centrale de l'intendance maritime par le chef d'état-major général, qui y joindra son avis.

L'état-major général fera prendre, s'il y a lieu les décisions nécessaires en ce qui concerne les responsabilités encourues par les officiers de la marine militaire ; les décisions relatives aux capitaines du commerce seront provoquées par les soins du ministre chargé des services de la marine marchande et des pêches, auquel, le cas échéant, les dossiers seront transmis par les soins de la direction centrale de l'intendance maritime.

13. Recommandations générales.

En terminant, je recommande d'apporter toujours la plus grande célérité dans les enquêtes, constatations, etc. J'appelle également l'attention sur la nécessité de ne pas se laisser influencer, dans les abordages de peu d'importance, par le désir de régler une affaire que l'on considérerait comme très peu importante en proposant la mise des frais à la charge de l'Etat, alors qu'un examen attentif aurait établi la responsabilité du navire du commerce.

Pour le Ministre et par son ordre :

Le Contre-Amiral, Chef du Cabinet militaire,

DESCOTTES-GENON.