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DIRECTION DES PERSONNELS CIVILS : Sous-Direction des personnels civils extérieurs ; Bureau des fonctionnaires et employés

LETTRE N° 174/M/BYG du ministre d'État chargé de la fonction publique et de la réforme administrative transmissive de l'avis émis par le conseil d'État le 25 janvier 1950, sous le n o 249-297 au sujet de l'application de l'article 80 de la loi du 19 octobre 1946 portant statut général des fonctionnaires.

Du 28 mars 1950
NOR

Classement dans l'édition méthodique : BOEM  250.4.5.

Référence de publication : BO/G, p. 1139 ; BO/A, p. 1623.

1. Contenu

 

Abrogée et remplacée en dernier lieu par la loi 84-16 du 11 janvier 1984 (BOC, p. 208).

 

2. Contenu

J'ai été saisi à diverses reprises de demandes de précisions relatives à l'interprétation des divers alinéas de l'article 80 de la loi du 19 octobre 1946 portant statut général des fonctionnaires.

D'une manière générale, ces demandes portent sur les quatre points suivants :

  • 1. Lorsqu'un fonctionnaire est suspendu en vertu de l'article 80, est-il possible, dans certains cas, de continuer à opérer des retenues sur son traitement, même après l'expiration du délai de quatre mois prévu par les alinéas 4 et 5 dudit article ?

  • 2. Peut-on modifier le taux des retenues opérées sur le traitement au cours même de la suspension ?

  • 3. Peut-on, lorsque des poursuites judiciaires sont engagées à l'encontre d'un agent suspendu, lui infliger une sanction disciplinaire avant que l'autorité judiciaire ait rendu un jugement définitif ?

  • 4. Peut-on, compte tenu du jugement pénal intervenu, modifier, soit pour l'aggraver, soit pour l'atténuer, la sanction disciplinaire qui aurait été prononcée avant ce jugement ?

J'ai l'honneur de vous faire savoir que, consulté à ce sujet, le conseil d'État a émis un avis, no 249-297 en date du 25 janvier 1950, dont vous trouverez ci-joint copie (BO/A, p. 1626).

Compte tenu de cet avis de la haute assemblée et de sa jurisprudence en matière disciplinaire, il est dès lors possible de fournir les réponses suivantes aux diverses questions posées ci-dessus.

3. Première question.

Lorsqu'un fonctionnaire est suspendu en vertu de l'article 80, est-il possible, dans certains cas, de continuer à opérer des retenues sur son traitement, même après l'expiration du délai de quatre mois prévu par les alinéas 4 et 5 dudit article ?

Le dernier alinéa de l'article 80 apportant une dérogation expresse aux alinéas 4 et 5 dudit article, il faut en conclure dans l'hypothèse où des poursuites judiciaires sont engagées contre l'agent suspendu, que les dispositions suivant lesquelles l'intéressé reçoit à nouveau l'intégralité de son traitement au bout de quatre mois ne sont pas applicables. Il est donc possible d'opérer des retenues sur le traitement du fonctionnaire suspendu pendant toute la durée des poursuites judiciaires.

Ces retenues ne seront pas remboursées si la sanction est plus grave que l'avertissement, le blâme ou la radiation du tableau d'avancement.

4. Deuxième question.

Peut-on modifier le taux des retenues opérées sur le traitement au cours même de la suspension ?

La réponse est donnée directement par l'avis du conseil d'État. L'autorité qui détient le pouvoir disciplinaire peut revenir sur la décision fixant le taux des retenues opérées.

Il appartient à cette autorité de tenir compte à cet égard des éléments nouveaux d'appréciation qu'elle peut avoir recueillis, ainsi que de la durée de procédure.

5. Troisième question.

Peut-on, lorsque des poursuites judiciaires sont engagées à l'encontre d'un agent suspendu, lui infliger une sanction disciplinaire avant que l'autorité judiciaire ait rendu un jugement définitif ?

Une suspension de longue durée présente l'inconvénient, lorsque la faute commise est d'une réelle gravité et que la culpabilité de l'intéressé ne semble pas faire de doute, de laisser à la charge de l'administration le paiement de la moitié du traitement pendant toute la durée de cette suspension.

Dans le cas contraire, elle prive l'administration pendant un temps également long, des services d'un agent qui, par exemple, ne sera peut-être frappé que d'un blâme ou d'un déplacement d'office.

C'est pourquoi la question s'est posée de savoir si dès avant l'issue de l'instance pénale il était possible d'infliger au fonctionnaire suspendu une sanction disciplinaire mettant aussi fin au paiement de la moitié du traitement et permettant éventuellement de le réintégrer dans son emploi.

Il résulte des termes mêmes de l'avis du conseil d'État que le dernier alinéa de l'article 80 a dérogé en particulier aux dispositions de l'article 4 qui prévoit que la situation du fonctionnaire suspendu doit être définitivement réglée dans un délai de quatre mois.

Dès lors, en admettant même que l'interprétation littérale de ce dernier alinéa puisse, à elle seule, laisser un doute sur ce point, il est désormais acquis que l'autorité administrative ne peut pas prononcer une sanction disciplinaire contre un fonctionnaire frappé de suspension, tant que sa situation n'est pas réglée au regard de l'autorité judiciaire.

Cela ne signifie pas pour autant que l'administration soit contrainte de maintenir la suspension pendant toute la durée de l'intance devant les tribunaux.

En effet, ainsi que le relève le conseil d'État, l'autorité ayant pouvoir disciplinaire demeure libre, pour des raisons d'équité, de modifier la décision purement provisoire prise sur le principe de la suspension.

Il suffira donc à l'administration, notamment dans les hypothèses envisagées ci-dessus, de revenir sur la mesure de suspension elle-même pour que les dispositions du dernier paragraphe de l'article 70 du statut deviennent alors les seules applicables et qu'il soit possible d'infliger une sanction disciplinaire avant l'intervention de la décision du tribunal.

6. Quatrième question.

Peut-on, compte tenu du jugement pénal intervenu, modifier, soit pour l'aggraver, soit pour l'atténuer, la sanction disciplinaire qui aurait été prononcée avant le jugement ?

En raison même de la faculté que possède l'administration d'infliger à un fonctionnaire une sanction disciplinaire avant que soit intervenue la décision du tribunal saisi pour les mêmes faits, il faut envisager l'hypothèse où les deux peines seraient si dissemblables que l'autorité administrative souhaiterait revenir sur sa première décision.

Certes, du fait de l'indépendance réciproque des droits pénal et disciplinaire, il n'est pas théoriquement nécessaire qu'un parallélisme quelconque existe entre les sanctions auxquelles aboutissent les deux procédures ; il serait pourtant choquant que pour les mêmes faits, un agent soit, par exemple, révoqué de ses fonctions et acquitté par le juge. Il ne faut pas non plus écarter l'hypothèse où, postérieurement au prononcé de la peine disciplinaire, l'instruction judiciaire révélerait des faits nouveaux, soit à la charge, soit à la décharge de l'intéressé.

Il convient donc d'examiner quels sont les pouvoirs de l'administration dans le cas où elle jugerait opportun, en raison de l'issue pénale de l'affaire, soit de diminuer, soit d'aggraver une sanction disciplinaire déjà prononcée.

En l'absence de textes applicables, il faut se reporter à la jurisprudence du conseil d'État en matière disciplinaire.

6.1. Cas où l'administration désire remplacer une première sanction par une sanction moins sévère.

Dans cette hypothèse, ce sont principalement les règles relatives au retrait des sanctions qu'il importe d'examiner.

C'est un principe actuellement bien établi par la jurisprudence « qu'il appartient à l'autorité administrative de rapporter, pour un motif d'opportunité, une sanction infligée légalement à un fonctionnaire » [CE Baffoux, 19 novembre 1948 (Ass.) ; Maunier, 4 mai 1949].

La liberté de l'administration en ce domaine n'est pourtant pas entière. En effet, ce retrait ne peut avoir lieu lorsqu'il aurait pour effet d'entraîner nécessairement l'exclusion d'un autre agent de l'emploi auquel celui-ci avait été nommé et de porter ainsi atteinte à ses droits acquis (Baffoux précité, Dlles Mollet et Salvan, 6 février 1948).

La règle est, en effet, qu'un acte administratif ayant créé des droits ne peut être rapporté que pour illégalité (Guyard, 1er juillet 1949) et dans le délai du recours contentieux.

La notion de droits acquis demande d'ailleurs quelques précisions en cette matière.

On peut soit la comprendre d'une manière restrictive (droit du fonctionnaire à être maintenu dans le poste où il a été nommé), soit l'entendre très largement en tenant compte, par exemple, d'un droit qu'auraient les fonctionnaires à ce qu'on ne leur donne pas un nouveau contrat concurrent.

Cette seconde interprétation, qui rendrait pratiquement inopérant le principe général énoncé plus haut, ne paraît pas correspondre à la jurisprudence actuelle du conseil d'État.

Il semble qu'on puisse dire, en l'état actuel de la jurisprudence qui, en ce domaine, n'est peut-être pas complètement fixée, que le conseil estime qu'il y a violation des droits acquis des agents en fonction lorsque le retrait gracieux d'une sanction disciplinaire aurait nécessairement pour effet d'entraîner le retrait d'une mesure individuelle particulière ayant conféré un avantage quelconque à un autre agent.

Dans chaque cas d'espèce un certain nombre de questions de fait détermineront la solution : existence d'autres postes identiques, vacances, etc.

6.2. Cas où l'administration entendrait aggraver la sanction administrative déjà prononcée.

Lorsqu'une sanction disciplinaire a été prononcée en raison de certains faits, la règle non bis in idem interdit à l'administration d'aggraver cette sanction, ou d'en infliger une autre pour ces mêmes faits.

Bien plus, si au moment où la peine a été prononcée, d'autres faits répréhensibles étaient connus de l'autorité administrative, mais n'ont pas été sanctionnés, cette dernière ne pourrait se fonder sur ces faits pour aggraver la première sanction ou en infliger une seconde.

En l'état actuel de la jurisprudence, il faut donc penser que l'administration peut seulement infliger une sanction disciplinaire nouvelle pour des faits que l'instance judiciaire aurait révélés postérieurement au prononcé de la première sanction.

P.-H. TEITGEN.