CIRCULAIRE N° 23591/PM/4/K concernant l'attitude à adopter en cas de diffamation et d'injure envers l'armée et les personnels militaires.
Du 28 février 1948NOR
A l'occasion d'attaques commises, le plus souvent par la voie de la presse, contre les personnels militaires et l'armée en général (ou des corps militaires constitués : corps des officiers, tribunaux militaires, etc.) et présentant le caractère de diffamation ou d'injure, il a paru utile de préciser la position à adopter dans de tels cas, ces derniers étant à l'heure actuelle appréciés et réglés dans des sens divers.
La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, modifiée notamment par les ordonnance du 6 mai 1944 et ordonnance du 13 septembre 1945 donne aux personnes et corps constitués qui font l'objet de diffamation ou d'injures, le droit :
de répondre dans la publication incriminée (art. 12 et 13) ;
d'intenter des poursuites judiciaires contre les personnes responsables (art. 42 et 43).
En ce qui concerne plus particulièrement les poursuites judiciaires éventuelles, il convient de distinguer :
la nature du délit ;
la qualité des personnes diffamées ou injuriées.
1. NATURE DU DÉLIT.
La diffamation consiste essentiellement dans l'allégation ou l'imputation d'un fait de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération du corps ou de la personne qui en est l'objet.
L'injure est une expression outrageante, terme de mépris ou invective, ne se référant à aucun fait déterminé.
L'un et l'autre délit comportent certains éléments constitutifs communs :
désignation expresse ou allusive du militaire ou du corps diffamé ou injurié ;
intention coupable ;
publicité, cette condition étant toujours remplie lorsque ces délits ont été commis par la voie de la presse.
2. QUALITÉ DES PERSONNES DIFFAMÉES OU INJURIÉES.
La loi du 29 juillet 1881 protège notamment :
les corps constitués (armée, tribunaux militaires, etc.) ;
les fonctionnaires et agents de l'autorité publique, diffamés ou injuriés, en raison de leur fonction ou de leur qualité ;
les particuliers.
La détermination de la qualité de la personne diffamée ou injuriée est essentielle pour apprécier si la plainte doit être laissée à l'initiative des particuliers ou au contraire du ministre après avis des autorités militaires subordonnées.
Les attaques de presse effectuées contre les militaires en ce qui concerne leurs activités privées ne sauraient retenir l'attention de l'autorité hiérarchique, il appartient aux intéressés d'exercer leurs droits dans les conditions prévues par la loi.
Par contre, dans les cas où sont mis en cause le prestige de l'armée et des corps militaires, l'honneur ou la considération des personnels diffamés en raison de leur qualité ou à l'occasion de leur fonction, l'autorité militaire possède (cf. art. 48, 1° et 3°, de la loi du 29 juillet 1881) le droit de demander l'exercice de poursuites soit exclusivement, soit concurremment avec les militaires mis en cause.
Cependant, on ne saurait trop appeler l'attention sur les inconvénients que présentent, d'une part les polémiques auxquelles peut entraîner le droit de réponse, d'autre part les incertitudes de l'issue du procès.
Sans insister davantage sur la question du droit de réponse, il y a lieu de noter en effet en ce qui concerne les poursuites judiciaires que :
le caractère exact de la diffamation ou de l'injure pourra parfois être difficilement apprécié : s'agit-il de délits concernant les fonctionnaires publics à raison de leurs fonctions ou au contraire de leur vie et de leur activité privées ?
le délit de diffamation disparaît si, s'agissant d'attaques contre les corps constitués ou les fonctionnaires publics à raison de leur fonction, la preuve de l'exactitude des faits diffamatoires est établie par le prévenu ;
le délit d'injure peut être excusé s'il y a eu provocation de la part de la personne injuriée ;
l'individu poursuivi est admis à prouver qu'il n'avait pas l'intention de nuire, et dans ce cas, un des éléments du délit venant à manquer, il n'y a plus d'infraction ;
l'éventualité des poursuites dépend non seulement de la plus ou moins grande solidité des arguments juridiques de la cause, mais de l'ensemble des circonstances de fait, des réactions possibles de la part de l'opinion publique, en un mot du « climat » de l'affaire.
En conséquence, lorsque le commandement sera saisi ou aura connaissance d'affaires susceptibles d'entraîner des poursuites judiciaires pour diffamation ou injure, il lui appartiendra de déterminer dès l'abord le caractère de ces infractions :
si ces dernières sont commises contre des militaires à l'occasion de leurs activités privées, aucune suite n'est à donner, les intéressés étant seuls juges de l'exercice de leurs droits dans les conditions qui leur paraissent utiles ;
si elles sont commises contre l'armée ou des corps militaires constitués, les poursuites seront exercées sur décision du ministre des forces armées.
A cet effet, les dossiers seront examinés par le commandement au point de vue tant du droit que des circonstances et de l'opportunité de la mise en mouvement de l'action publique et, après élimination des affaires qui ne sembleraient pas devoir recevoir de suites judiciaires, transmis pour décision à l'administration centrale sous le présent timbre :
s'il s'agit d'attaques contre les fonctionnaires publics en raison de leur fonction ou de leur qualité, les dossiers seront instruits comme il a été indiqué au paragraphe ci-dessus en mettant tout spécialement en lumière le caractère calomnieux des allégations ; les personnels militaires mis en cause seront invités à faire connaître leurs intentions en ce qui concerne le droit de réponse et l'éventualité de poursuites de leur propre chef. Au cas où les victimes se désisteraient, les dossiers seront transmis à l'administration centrale pour décision.
Il va sans dire que seuls devront être pris en considération et transmis les dossiers présentant les qualités indispensables de « solidité » au point de vue tant du droit que de l'opportunité, et pour lesquels la défense des intérêts généraux de l'armée serait assurée avec le maximum d'efficacité.
L'attention est appelée sur le fait qu'en raison du délai très court de trois mois fixé par l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881, en matière de prescription de l'action publique, il importe que l'examen auquel l'autorité militaire sera amenée à procéder en exécution de la présente circulaire soit effectué dans le délai maximum d'un mois à compter de la date de l'infraction.
TEITGEN.