CIRCULAIRE relative aux punitions disciplinaires à infliger après décision judiciaire.
Du 11 avril 1910NOR
La question s'est posée de savoir si un militaire condamné avec ou sans sursis, acquitté ou absous, ayant bénéficié d'un réfus d'informer ou d'une ordonnance de non-lieu, pouvait être puni disciplinairement pour le fait même qui avait servi de base à l'action publique criminelle ou correctionnelle.
L'étude de cette question a donné lieu aux considérations ci-après :
L'action disciplinaire a pour objet la répression soit des infractions aux règlements militaires, soit des manquements aux règles de l'honneur ou de la délicatesse.
Elle se distingue donc nettement de l'action publique qui a pour but de réprimer uniquement les actes spécifiés dans la loi pénale comme constituant des crimes, des délits ou des contraventions.
En raison de la diversité de leur nature, l'action publique et l'action disciplinaire sont indépendantes l'une de l'autre. Il en résulte qu'elles doivent pouvoir s'exercer simultanément à raison du même fait, pourvu que celui-ci soit envisagé aux deux points de vue différents qui viennent d'être précisés.
C'est en ce sens que se prononcent nettement la doctrine et la jurisprudence de la cour de cassation.
Plusieurs hypothèses peuvent être envisagées :
a). L'action publique a abouti à une condamnation sans sursis.
Le condamné peut, sans violation de la règle non bis in idem, être poursuivi disciplinairement à raison des faits ayant servi de base au jugement rendu par la juridiction répressive.
En effet, la condamnation prononcée par le juge criminel implique dans presque tous les cas, à côté du délit ou du crime, un manquement à la délicatesse, à l'honneur et au devoir professionnel.
C'est dans cet ordre d'idées que les règlements d'administration publique du 8 novembre 1903 (1) sur les conseils d'enquête des officiers et des sous-officiers rengagés ou commissionnés, prévoient l'application de mesures disciplinaires après des condamnations pénales.
b). L'action publique a abouti à une condamnation avec sursis.
Le sursis accordé au condamné ne modifie pas ce qui précède. La mesure d'indulgence dont le juge criminel a fait bénéficier le condamné ne peut porter atteinte aux droits du juge de discipline.
c). L'action publique a abouti à un acquittement ou à une absolution.
L'acquittement prouve bien l'absence de la culpabilité de l'agent au point de vue de la loi pénale, mais il n'empêche pas que l'acte incriminé ait pu exister à l'état de simple fait et que ce fait reste répréhensible au point de vue disciplinaire.
Il est de jurisprudence constante que l'acquittement, quelle que soit la juridiction répressive qui l'ait prononcé, ne met pas obstacle à l'exercice ultérieur de l'action disciplinaire.
Il en est pareillement, à plus forte raison, de l'absolution qui soustrait à l'application d'une peine le prévenu, bien qu'il soit reconnu l'auteur du fait relevé à sa charge.
d). La procédure criminelle s'est terminée par une ordonnance de non-lieu ou un refus d'informer.
En semblable hypothèse, la poursuite disciplinaire pourra d'autant mieux s'exercer que les décisions dont il s'agit ne produisent pas des effets aussi étendus que l'acquittement, la reprise de la poursuite criminelle étant possible s'il survient des charges nouvelles.
Tels sont les principes relatifs à l'indépendance respective des actions publique et disciplinaire.
Mais cette indépendance ne va pas jusqu'à permettre à l'autorité disciplinaire de rendre une décision qui soit en contradiction directe avec celle qui émane de la justice répressive et qui a acquis l'autorité de la chose jugée.
L'autorité militaire commettrait donc un excès de pouvoir en se fondant, pour prononcer une punition, sur ce que l'inculpé se serait rendu coupable du crime ou du délit au sujet duquel il avait été acquitté. Elle ne pourra retenir les actes ayant fait l'objet de cet acquittement qu'en les dépouillant de leur qualification légale et en les appréciant au seul point de vue de la discipline. Il devra en être de même en ce qui concerne les ordonnances de non-lieu et les refus d'informer.
Ce sont ces considérations qui ont inspiré l'avis rendu, sur le rapport d'un conseiller à la cour de cassation, par le comité du contentieux et de la justice militaire de mon département, avis auquel le ministre a donné son approbation et qui est ainsi conçu :
« L'action disciplinaire ayant pour but de réprimer soit les infractions au devoir professionnel, soit les manquements à l'honneur ou à la délicatesse, se distingue essentiellement de l'action publique qui atteint les seuls faits constituant, d'après la loi pénale, des crimes, des délits ou des contraventions.
En raison de leur nature différente, ces actions sont indépendantes l'une de l'autre et la règle non bis in idem ne met pas obstacle à ce qu'elles soient exercées simultanément ou successivement à l'occasion d'un acte unique, pourvu que chacune d'elles se maintienne sur le terrain qui lui est propre.
Par suite, le militaire condamné avec ou sans sursis, acquitté ou absous, ayant bénéficié d'un refus d'informer ou d'une ordonnance de non-lieu, peut être puni disciplinairement pour le fait même qui avait motivé l'exercice de l'action publique.
Mais le respect dû à la chose jugée s'oppose à ce que la décision intervenant sur la poursuite disciplinaire soit en contradiction avec la sentence du juge criminel.
En conséquence, l'autorité investie du pouvoir de discipline excéderait la limite de ses attributions si elle prononçait une peine en se fondant sur ce que le militaire mis en cause aurait réellement commis le crime ou le délit au sujet duquel il avait bénéficié d'un acquittement, d'un refus d'informer ou d'une ordonnance de non-lieu. »
C'est donc en conformité des principes énoncés dans cet avis que, désormais, il y a lieu d'exercer l'action disciplinaire dans toutes les circonstances où l'action pénale aura été ouverte.