INSTRUCTION N° 300/DN/EMA/CAB pour la formation militaire générale.
Du 20 mars 1970NOR
Lettre d'envoi de M. le ministre d'Etat chargé de la défense nationale à MM. les chefs d'état-major des trois armées.
Je vous adresse une instruction pour la formation militaire générale destinée aux chefs de corps de l'armée de terre, commandants de bâtiments et d'unités marines de la marine, commandants de bases aériennes et de formation de l'armée de l'air.
Elle se situe dans la ligne de mon instruction du 10 février 1970 (n.i. BO) et vise à en définir, au niveau des unités, les conditions d'application.
Le but à atteindre est clair, l'obligation d'y parvenir réaffirmée.
Les modes d'action et les procédés pourront être adaptés au milieu. L'initiative et l'imagination trouveront là un champ d'application privilégié. Selon son tempérament chacun devra prendre conscience ou être persuadé que tout excès de prudence ou tout excès de zèle risque de nuire à l'œuvre de rénovation qui doit être entreprise.
Le souci de l'homme ne doit pas céder le pas à celui de la technique ou de l'administration ; un équilibre nouveau au profit du premier doit être trouvé.
De nombreux officiers et sous-officiers agissent déjà comme il est demandé de le faire. Ils seront confirmés dans leur conception de la vie militaire et serviront de guides et d'exemples.
C'est un esprit nouveau qui doit régner aussi bien dans le plus petit élément de service que dans les unités de combat.
Je vous demande de donner à cette lettre la même diffusion qu'à l'instruction qui l'accompagne.
Le ministre d'Etat, chargé de la défense nationale,
Michel DEBRE.
Annexe
Annexe
I. Introduction.
La défense de la patrie, la sauvegarde de sa liberté et le respect de son honneur constituent la raison d'être des armées. La présence sous les drapeaux révèle aux citoyens l'ampleur de leurs devoirs et de leurs responsabilités.
Le succès des armées, quelles que soient les qualités des matériels, repose sur la valeur et la détermination des hommes qui les servent.
A l'ère atomique plus que jamais, la nature des risques encourus et l'isolement des combattants requièrent de chacun une force morale à toute épreuve.
Dans le même temps, l'élévation du niveau intellectuel des Français comme l'évolution des esprits les amènent à ne souhaiter s'engager qu'en pleine connaissance de cause.
C'est pourquoi la formation des personnels militaires doit être dominée par le souci de leur procurer les raisons dont ils ont besoin, en temps de guerre, pour que le sacrifice consenti soit à l'origine d'un engagement personnel où l'initiative l'emporte sur la résignation, en temps de paix pour que le temps consacré à l'entraînement et à la préparation de l'acte de guerre soit dans sa totalité considéré comme employé efficacement et même comme générateur pour chacun d'un enrichissement.
C'est là le rôle de la formation militaire générale.
Demeurée souvent jusqu'ici le fruit d'initiatives dispersées, elle revêt pour les armées, sous cette forme, une importance capitale.
En préciser la nature, marquer les limites de son domaine, définir ses buts, fixer les règles de conduite est apparu nécessaire.
Tel est l'objet de la présente instruction.
Elle complète et précise les prescriptions du règlement de discipline générale.
CHAPITRE PREMIER Natures, limites et buts de la formation militaire générale.
1 Nature.
1.1
Contenu
On désigne par « formation » l'ensemble des activités qui tendent pour chaque homme :
à réaliser et à maintenir son adaptation aux tâches qui lui sont ou peuvent lui être confiées ;
à l'intégrer pleinement aux différents groupes au sein desquels il est appelé à vivre ;
à l'épanouir du point de vue moral, intellectuel et physique en développant ses aptitudes.
Contenu
Pour atteindre les buts qu'elle se propose la formation militaire générale doit tenir compte de ce qu'elle est destinée à des jeunes gens :
souvent insuffisamment préparés, moralement et physiquement, à la vie militaire ;
souvent désorientés par les exigences et les fatigues de l'existence qui leur est proposée ;
souvent prompts au découragement et facilement portés à la critique.
Chez eux cependant se manifestent avec la vigueur de la jeunesse les aspirations créatrices d'énergie :
sentiment de la dignité personnelle et souci de la justice ;
recherche d'un idéal et besoin de se dépasser ;
désir d'être orienté et inclinaison à s'inspirer pour son action d'un modèle ;
volonté de s'affirmer et soif d'accéder aux responsabilités ;
goût de l'efficacité et intérêt porté à la technique ;
conscience de certaines solidarités.
Elle repose essentiellement sur :
l'organisation ;
l'information ;
la participation.
1.2
La formation dans les armées revêt deux aspects étroitement liés, également indispensables mais par nature très différents :
un aspect d'« instruction » : acquisition et entretien des connaissances et du savoir-faire nécessaire à l'exécution des tâches. C'est la formation technique.
Elle est dispensée pendant des périodes limitées, selon un programme établi. Pour être efficace, ses buts doivent être clairement définis et connus de tous (1) :
un aspect d'« éducation » : adaptation au milieu de vie, adhésion active aux règles militaires et préparation à l'accomplissement des missions du temps de guerre comme du temps de paix.
C'est la « formation militaire générale ».
C'est une œuvre permanente, jamais achevée et dont chaque moment de la vie militaire, service général, instruction, loisirs, constitue à la fois le support et le moyen.
Ses méthodes doivent être nuancées et, le cas échéant, adaptées aux hommes et aux circonstances pour obtenir une adhésion et non des réactions d'opposition.
2 Limites.
S'agissant de faire naître chez les citoyens présents sous les drapeaux des motivations assez fortes pour assurer le succès de la mission des armées au service du pays, les buts de la formation militaire générale pourraient être ambitieux.
Mais il faut considérer :
1. Que l'armée ne peut ni ne doit se substituer aux institutions ayant pour rôle d'assurer la formation civique du citoyen. Elle est l'une de ces institutions et doit tenir sa place, qui est grande, sans plus.
2. Que le problème des motivations du temps de paix est prédominant et que sa solution a les meilleures chances d'assurer, compte tenu des motivations propres au temps de guerre, cette obéissance active nécessaire au succès.
On perçoit donc :
1. Que la formation militaire générale peut limiter son rôle à la recherche et à la création des conditions d'activité les meilleures pour le temps de paix.
2. Que, si elle s'adresse à la fois aux hommes et aux cadres, ses buts et ses méthodes doivent être conçus pour répondre d'abord aux besoins des hommes, le comportement et la formation des cadres étant traités comme des conséquences.
3 Buts.
Assurer les conditions d'activité les meilleures pour le temps de paix revient essentiellement à vaincre deux sentiments aussi puissants qu'irraisonnés et selon lesquels :
l'armée, en temps de paix est sans utilité ;
le temps qu'y passe le jeune homme est du temps perdu.
Il s'agit donc simplement :
d'abord et avant tout, d'assurer l'efficacité du soldat dans les tâches qui sont les siennes, de lui faire prendre conscience de cette efficacité et de la valeur des méthodes et procédés pour y atteindre, de telle manière qu'il puisse s'y référer, consciemment ou non, tout au long de sa vie d'homme ;
de faire apparaître l'utilité de l'institution militaire dans son rôle propre et non dans des rôles accessoires destinés à la justifier ;
de faire en sorte que dans tous les cas l'obéissance immédiate et sans restriction nécessaire au combat demeure l'objectif. Mention en est faite expressément pour que les méthodes qui vont être décrites ne soient pas dénaturées par les esprits conservateurs ou les esprits zélés, le danger étant le même dans les deux cas. Il est atteint lorsque l'automatisme de l'obéissance passive est remplacé par l'habitude de la confiance, elle-même recherchée dans la présente directive.
CHAPITRE II Conduite de la formation militaire générale.
Concevoir une conduite de la formation militaire générale en vue de réaliser les buts, c'est :
préciser les bases de l'action ;
indiquer les domaines d'application.
1 Bases de l'action de la formation.
1.2 L'organisation.
Condition indispensable de l'efficacité et du rendement l'organisation de leur milieu de vie maintient les hommes dans la certitude d'appartenir à un ensemble cohérent, où tous les moments de l'activité sont ordonnés et planifiés, où toute perte de temps est bannie et où chacun se sent utile.
En y associant tous les membres de l'unité, en suscitant les initiatives et en leur donnant sa caution, en répartissant largement les responsabilités, le chef manifeste à ses subordonnés son estime et fait naître chez eux le sentiment d'œuvrer pour le bien commun et d'être un rouage nécessaire à la bonne marche de l'ensemble.
Il doit veiller à ce que cette organisation demeure vivante. Rien n'est plus fréquent qu'une organisation vieillie et inadaptée.
1.3 L'information.
Condition de la participation l'information doit circuler dans les deux sens pour :
donner à l'homme une meilleure connaissance du milieu dans lequel il se meut, des raisons de son activité, de la place qui est la sienne dans la collectivité ; cette information du chef vers l'homme doit éviter le double écueil de l'information trop générale sans contact avec la vie quotidienne et de l'information trop étroitement adaptée au rôle de l'exécutant ;
présenter au chef le point de vue toujours original de l'exécutant et lui apporter les raisons d'inexplicables refus.
Elle doit porter sur :
la vie de l'unité : buts recherchés, points d'efforts, étapes successives, résultats obtenus ;
la vie des autres unités : leur raison d'être, leur rôle au sein des forces armées, leur évolution ;
les problèmes d'ordre personnel, et là un effort doit être fait non seulement pour répondre aux questions posées, mais surtout pour découvrir toutes celles qui ne le sont pas en évitant de susciter la méfiance ;
la vie des armées : événements militaires marquants, organisation et équipement des forces, participation aux activités du pays ;
la vie nationale sous ses aspects administratifs, culturels, économiques et sociaux de l'actualité mondiale au travers des principaux événements internationaux, éventuellement, avec nuance et prudence.
1.4 La participation.
Destinée à assurer l'unité et donc l'efficacité de l'action fondée sur le respect des opinions, elle permet :
au chef, de mieux connaître ceux dont il a la charge et de découvrir leurs possibilités. Informé de leurs aspirations et attentif à leurs suggestions, il s'efforce d'en tenir compte dans ses décisions ;
aux subordonnés, de mesurer l'intérêt et l'estime que leur porte leur chef et de saisir les impératifs auxquels il est soumis. Ils comprennent mieux ainsi les ordres qui leur sont donnés et se préparent intellectuellement à les exécuter ;
à tous, de prendre conscience de leur appartenance à une même communauté et d'y tisser des liens de solidarité.
Elle suppose :
l'établissement, entre échelons successifs, d'un dialogue spontané et constructif, qui fait naître et développe la confiance ;
l'attribution à chacun de responsabilités qui créent l'intérêt, encouragent et suscitent l'émulation.
La participation s'impose à tous. Elle s'exerce en particulier lors de la préparation de la décision, mais celle-ci n'appartient qu'au chef.
2 Domaines d'application.
Ainsi placée sous le signe de l'organisation, de l'information et de la participation, l'action de formation trouve ses applications pratiques dans tous les domaines :
vie courante et service général ;
instruction, entraînement, exercices et manœuvres ;
loisirs et activités particulières.
2.1 Cadre de la vie courante et du service général.
Là est le plus difficile problème. On ne saura jamais assez ce que ces vocables, vie courante et service général, cachent pour nombre de jeunes soldats de gardes sans but ni fin, de corvées à l'utilité douteuse quand elles ne sont pas simplement destinées à occuper des instants qu'une mauvaise organisation a ôté à l'instruction, de travaux destinés surtout à matérialiser la petite autorité de celui qui les ordonne ou les surveille, de désœvrement sans joie ni repos.
On ne cherchera jamais assez à quel point la routine, la paresse, la peur des responsabilités, la fausse fierté sont à l'origine de ce comportement regrettable.
Et pourtant, dans la simplicité et le respect d'autrui, tout peut être transformé en mettant en application les trois principes retenus, notamment dans les circonstances suivantes :
a). L'accueil.
Les premiers contacts avec le milieu militaire, ou avec toute nouvelle unité, jouent un rôle important et durable, et affectent les dispositions d'esprit de l'arrivant.
L'accueil qui lui est réservé est donc essentiel.
Il doit lui faire sentir qu'il est attendu, que l'organisation dans laquelle il entre est fraternelle et efficace.
Il doit lui permettre de faire connaissance rapidement dans les meilleures conditions, sans dépaysement brutal, avec les chefs, les camarades, les compatriotes, les lieux et les façons d'agir.
Une attention toute particulière doit être portée aux maladresses qui peuvent en gâter la qualité.
b). La vie matérielle.
L'accueil le meilleur restera sans effet durable si l'organisation de la vie matérielle quotidienne n'est pas conforme aux normes de notre époque. La vétusté des locaux, la précarité et l'inconfort des installations sont incompatibles avec le sens de l'ordre, le goût du travail soigné, la fierté de soi-même.
Des obstacles nombreux encore et indéniables subsistent dans ce domaine. Un effort de netteté peut cependant contribuer à améliorer des conditions matérielles défavorables. Les cadres veilleront à ce qu'il soit entrepris.
c). L'entretien.
L'entretien individuel, aussi fréquent que possible permet :
au chef, de mieux connaître ses hommes et d'établir avec eux un contact personnel et sans formalisme ;
à l'homme du rang, d'avoir un contact direct avec son chef, de lui soumettre ses idées, lui exposer ses problèmes et d'en recevoir les conseils.
Il suppose :
de la part du chef, disponibilité et volonté d'écouter ;
de la part de l'homme du rang, confiance, loyauté et réceptivité.
En aidant ainsi son subordonné à assumer lui-même ses responsabilités, plutôt qu'en lui dictant la conduite à suivre, le chef donnera à l'entretien sa pleine valeur formatrice.
Mais ceci n'est vrai que si cet entretien n'est pas systématiquement limité aux échelons les plus proches de l'homme ; le soldat doit pouvoir s'adresser à son lieutenant, à son commandant d'unité, à son chef de corps, commandant de bâtiment, commandant de base.
Le chef de corps doit s'astreindre à voir tous les hommes, au moins une fois au départ et une fois à l'arrivée ; c'est possible et c'est indispensable, en effet, lui et lui seul :
détient l'autorité et l'expérience d'où résultent l'objectivité et l'équité ;
confère à ses interlocuteurs une dignité qui les rend attentifs et réceptifs.
d). Les services à retour périodique.
Ils comportent les gardes, rondes, patrouilles, services de plantons et autres.
Rarement leur utilité est évidente ; fréquemment les désignations sont sources d'injustices.
Un effort permanent doit être fait à tous les niveaux :
pour vérifier si le service est toujours utile ou s'il peut être supprimé ou réduit ;
pour assurer la justice dans la participation, ce qui n'est pas aisé tant il y a de manières et de niveaux où les exemptions abusives peuvent être prononcées.
Une attention particulière doit être portée aux gardes d'honneur ; elles honorent celui qui assure le service tout autant que celui qui en bénéficie ; elles doivent être exceptionnelles, présentées et expliquées, et assurées avec un maximum de soin.
e). Les travaux au bénéfice de la communauté.
Ils portent un nom suranné « corvée » qui doit être proscrit.
Ils sont nécessaires mais doivent être limités au profit de la collectivité en application du principe « vous n'êtes au service de personne mais personne n'est à votre service ».
Leur but, leur durée doivent toujours être définis, le chef responsable clairement désigné et leur organisation soigneusement préparée.
f). La notation.
Acte essentiel de commandement la notation des hommes est le privilège des commandants d'unité élémentaire qui doivent s'y préparer et y apporter tous leurs soins :
elle doit être fondée sur des résultats concrets enregistrés, le plus souvent chiffrés, et ne comporter qu'un minimum de jugements de valeur ;
elle doit être orientée vers l'avenir et n'attacher au passé qu'une valeur de témoin.
Ainsi conçue, elle exige méthode, ordre objectivité, franchise, finesse et persévérance de la part de celui qui note.
La communication des notes lors d'un entretien est un élément important de cet acte de commandement.
g). La libération.
Si la libération marquait la fin d'un service où à aucun moment l'esprit défini par la présente directive ne se serait manifesté, il serait vain et certainement mauvais d'entreprendre alors une action quelconque.
Mais à l'achèvement d'une vie militaire consciente, confiante et raisonnée, la libération doit être pour le chef de corps le moment où il intervient une dernière fois, auprès du citoyen qu'est déjà le jeune soldat pour :
faire un bilan individuel et collectif ;
rectifier tout ce qui peut encore l'être, en fait ou en esprit ;
apporter les justifications nécessaires ;
reconnaître les erreurs et les manques.
Il rencontrera l'adhésion totale des jeunes gens à la condition, d'une libération à l'autre, de jouer le jeu en apportant à la vie de l'unité les modifications dont il aura admis la nécessité et en acceptant toutes les remarques même si leur expression n'est pas modérée.
Il devra porter attention à ne pas mettre en cause individuellement les cadres à cette occasion, ce qui sera aisé s'il les fait pleinement participer à son action.
2.2 Cadre de l'instruction.
C'est le domaine où l'effort d'organisation, d'information et de participation aura les meilleurs résultats sur le plan de l'éducation. En effet :
d'une part, l'instruction militaire a pour les jeunes gens un attrait évident ; à leurs yeux elle, et elle seule, justifie sans qu'il soit nécessaire de le démontrer, leur présence sous les drapeaux ; ils sont donc initialement parfaitement réceptifs et ils n'apprécient jamais vraiment au fond d'eux-mêmes d'en être exemptés ou écartés. Cette constatation ne saurait surprendre que ceux qui ont oublié les motivations de la jeunesse rappelées en tête de ce chapitre ;
d'autre part, dispensée de façon théorique et pratique selon un emploi du temps précis, elle offre outre l'acquisition des connaissances pourquoi elle est organisée, un cadre propre au développement des qualités intellectuelles et morales, à l'apprentissage pratique des méthodes de travail et à l'exercice par les cadres du rôle de modèle dans un domaine où normalement ils excellent.
En particulier, la mise en œuvre de méthodes actives facilite le dialogue entre instructeurs et élèves, développe le climat de confiance, incite à l'initiative et crée les conditions favorables à une action d'éducation.
Ces méthodes conduisent le personnel à l'instruction à abandonner une attitude de dépendance et de passivité, à faire preuve de curiosité intellectuelle, de courage et de sens des responsabilités.
Toutefois, le but éducatif ne sera atteint qu'à condition :
d'organiser méthodiquement chaque séance par une étude approfondie des postes et des gestes ;
de souligner les responsabilités de chacun et de provoquer une saine émulation ;
de disposer de contrôles permettant d'examiner la qualité du travail, la continuité de l'effort, de comparer les résultats pour reconnaître et souligner les progrès, déceler la raison des échecs et remédier aux défectuosités de l'organisation et des méthodes employées ;
de veiller à ce que les inévitables mauvais exemples (temps perdu, séances non préparées) ne soient pas apparemment ignorés.
Tous les aspects de l'instruction, entraînement, exercices et manœuvres, ont une très grande valeur formatrice, notamment lorsqu'ils impliquent un risque physique.
Ils sont utilisés pour développer en particulier :
le sens des responsabilités, en confiant à chacun selon son rang et ses capacités des responsabilités effectives. Le chef se doit alors d'en mesurer, d'en accepter et d'en couvrir les risques ;
l'esprit d'initiative, en laissant à chacun une part de liberté suffisante ;
le sens de la qualité dans l'exécution, en inculquant à tous des habitudes de respect du matériel, d'économie des moyens et de recherche de la sécurité. Le souci du travail bien fait ne doit pas pour autant exclure la notion de rapidité.
Couronnement de l'instruction, les périodes de manœuvres sont des moments privilégiés en matière de formation.
Partageant plus étroitement la vie de ses subordonnés, soumis aux mêmes fatigues et aux mêmes privations, le chef est en mesure de mieux connaître ses hommes et d'être mieux connu d'eux. Exemple permanent pour ses subordonnés qui aiment à le voir engagé, comme eux, dans l'action, il gagne la confiance et développe la cohésion de son unité.
Cela ne sera complètement vrai pour l'homme du rang que si sa participation pleine et effective procède d'une information préalable lui permettant d'apprécier par lui-même le caractère contingent et souvent nécessaire de l'inaction elle-même assez fréquente à son niveau et dans ces circonstances.
Le chef, placé à la tête d'une unité qui n'a pas l'occasion de participer à des manœuvres, y suppléera en recherchant toutes les possibilités d'activités extérieures.
2.3 Cadre de certaines activités spécialisées.
a). L'entraînement physique et les sports.
Le domaine de l'entraînement physique et des sports est celui où les résultats d'une activité bien conduite sont les plus spectaculaires et les moins contestables. Les hommes doivent prendre conscience qu'ils acquièrent là un capital précieux. Aucun effort ne doit être négligé pour les mettre en possession des preuves chiffrées des progrès accomplis au fur et à mesure qu'ils le sont.
Chacun des deux types d'activité a ses vertus propres.
L'entraînement physique.
Pratiqué régulièrement et obligatoirement dans toutes les unités, il développe la vigueur, l'endurance et l'esprit de lutte.
Travail à la fois individuel et collectif qui exige volonté dans l'effort, ténacité, entrain et audace. Il crée au sein de l'unité cohésion et dynamisme et apporte à chacun équilibre, aisance et confiance en soi.
Les sports.
Complémentaire de l'entraînement physique, la pratique des sports, qui ne peut revêtir le même caractère d'obligation, vivifie l'esprit de corps et suscite l'émulation.
C'est pourquoi tout en l'encourageant, notamment pendant les périodes de détente, le chef s'attachera à ce qu'elle ne soit pas uniquement orientée vers la sélection d'une élite mais largement ouverte à une participation volontaire.
Seront plus particulièrement à l'honneur les sports qui développent la combativité, l'esprit d'équipe et le contrôle de soi.
Leur pratique telle qu'elle existe déjà partout doit être mise à profit, indépendamment de toute préoccupation de performances, pour resserrer les liens sociaux entre officiers, sous-officiers et hommes de rang.
La camaraderie du stade est en effet un des moyens les plus efficaces pour rompre les barrières entre les grades.
b). Prises d'armes et ordre serré.
Expression du cérémonial militaire, les prises d'armes sont le moyen le plus spectaculaire de faire naître le sentiment de cohésion et de fierté. Elles prennent toute leur valeur éducative à condition :
d'y associer tous les personnels de l'unité, pour qu'ils aient conscience de leur force ;
d'en limiter la fréquence pour ne les réserver qu'aux solennités importantes ;
d'en expliquer, au préalable, le but et les raisons pour évoquer les souvenirs glorieux, exalter l'esprit militaire et le sens de l'honneur ;
de ne tolérer aucune imperfection.
Elles donnent à l'ordre serré, aux yeux des hommes, sa raison d'être et justifient sa rigueur.
c). Promotion sociale.
Spécialement destinée à élever le niveau de chacun et à faciliter éventuellement sa réinsertion dans la vie civile, la promotion sociale est partie intégrante de la formation militaire générale.
Voulue et orientée par le chef de corps ou le commandant qui en fixe les modes d'action, elle ne peut atteindre son but que si elle reçoit aide et soutien à tous les niveaux du commandement.
Importante par son incidence psychologique et sociale elle doit être conduite avec désintéressement et sans jamais devenir une justification seconde de l'institution militaire.
d). Disponibilité et loisirs.
C'est généralement en dehors des périodes d'activité que naît dans l'esprit des hommes l'idée qu'il perdent leur temps.
Ce sentiment découle de deux situations différentes.
1. La disponibilité.
L'impératif de disponibilité impose aux armées de maintenir en état d'alerte une fraction des personnels. Cette nécessité est mal comprise et difficilement admise en temps de paix.
Il convient donc que les raisons en soient expliquées à la troupe par les cadres qui, avec elle, sont astreints aux mêmes permanences. La présence de ces cadres doit permettre d'organiser ou d'encourager, sans toutefois recourir à des activités factices qui iraient à l'encontre du résultat recherché, des activités diverses compatibles avec la mission et propres à diminuer le caractère d'inutilité apparente de ces périodes d'attente.
2. Les loisirs.
D'autre part le dépaysement décourage fréquemment le jeune soldat de fournir l'effort suffisant pour surmonter de lui-même l'isolement relatif qu'il éprouve en arrivant à la caserne.
Pour ne pas le laisser à l'abandon et vaincre son indifférence, une vie active et récréative doit être organisée à son intention en dehors des heures de travail. Le milieu militaire, par ses structures d'accueil et ses installations, doit offrir des possibilités de détente et en particulier celle qui concourt au développement de la personnalité dès lors qu'elle procède d'activités sportives ou culturelles.
Placées sous le régime de la participation volontaire, s'exerçant normalement au sein des clubs de loisirs éducatifs, ces activités réclament une décision personnelle d'adhésion, traduisent une volonté de s'employer à son propre épanouissement. Mais elles demandent, pour être menées à bien, effort et persévérance, initiative et coopération.
C'est pourquoi rien de profitable ne se fera dans les foyers et les clubs si les cadres ne s'engagent pas eux-mêmes, par une action libérale et désintéressée qui est indispensable pour donner son sens à la participation et nécessaire pour susciter les dévouements initiaux, rechercher les animateurs, faciliter leur action et aider à réunir les moyens matériels.
CHAPITRE III Comportement et formation des cadres.
1 But.
Il s'agit exclusivement ici de définir le comportement que doivent adopter et les aptitudes que doivent posséder les cadres pour faire de l'action de la formation une réalité vivante.
Les qualités fondamentales existent. Elles ont été acquises et développées dans les écoles ou au cours des premières années de pratique. Il reste parfois à les compléter et souvent à en tirer meilleur parti.
2 Généralités.
Les cadres agissent généralement vis-à-vis de leurs subordonnés comme on agit vis-à-vis d'eux.
Bien sûr, plus ils sont âgés et élevés en grade, plus la personnalité l'emporte sur le mimétisme professionnel. Mais celui-ci subsiste et doit toujours être pris en considération.
C'est pourquoi les buts et les méthodes applicables à la formation des hommes du rang restent valables dans leur généralité pour diriger le comportement et la formation des cadres.
Il faut seulement tenir compte, pour les adapter, du niveau auquel s'exercent les responsabilités de chacun.
Ces niveaux sont au nombre de quatre :
sous-officiers ;
officiers en unité ;
chefs de corps et commandants ;
échelons supérieurs du commandement.
3 Les sous-officiers.
Leur tâche est la plus difficile ; l'ancienne discipline leur était favorable : rendant accessoires les justifications elle donnait une importance particulière au rôle de moniteur qui est celui du sous-officier ; mettant à sa disposition des possibilités de sanctions elle lui permettait de forcer l'attention.
Le rôle d'exécutant modèle est à conserver ; le sous-officier ne doit pas se laisser entraîner dans des explications générales, il doit s'en tenir au minimum d'explications techniques utiles à la démonstration.
Pour lui, information et participation se feront naturellement en répercutant les informations qu'il tiendra de la communauté de vie avec ses chefs et en réglant son attitude sur la leur.
Il tiendra son autorité :
de sa compétence technique ;
de sa vigueur physique ;
mais surtout de la confiance que lui marqueront ses chefs et qui doit se substituer, avec bénéfice, à la possibilité de sévir.
Cette confiance ne pourra naître et se manifester au degré nécessaire que par un rapprochement avec l'officier voulu par ce dernier.
Dans l'action de formation, le couple officier-sous-officier est inséparable et celui-ci en bénéficie pour sa formation personnelle qui dépend avant tout de l'initiative des officiers et de l'attention du chef de corps.
La préparation aux actions de caractère éducatif effectuée dans les écoles de cadres comprendra une information complète sur le problème, mettant en évidence les erreurs à éviter. Mais en fait l'attitude future du jeune sous-officier dépendra du comportement adopté par les instructeurs à son égard. Il est indispensable d'agir avec lui, dès cet instant, comme on agit avec la troupe, et comme on veut qu'il agisse ultérieurement avec elle.
4 Les officiers.
Ce sont eux, et en particulier les lieutenants et capitaines, les vrais formateurs.
Ils doivent agir à la fois comme modèles et comme pédagogues.
Dans un domaine où les résultats ne s'obtiennent qu'indirectement, la valeur de l'exemple est d'une très grande importance : tout officier fera, malgré ses propres défauts, figure d'exemple s'il ne prétend paraître autre qu'il n'est, mais donne sans relâche le meilleur de lui-même.
Ses gestes, ses paroles, ses attitudes, constamment observés, traduisent d'eux-mêmes l'idéal qui l'anime.
Son influence et son ascendant seront le reflet de sa compétence, de son équité, de son ouverture à autrui et de la conviction avec laquelle il pratiquera l'information, la participation et se consacrera à l'organisation.
Mais l'exemple, nécessaire, est insuffisant ; il faut encore le savoir-faire pour éviter les attitudes dommageables et pour employer toutes les ressources de la pédagogie et de la psychologie pratiques. Cela ne va pas de soi ; dans cette matière le bon sens n'est pas d'un plus grand secours que ne l'est l'évidence dans l'observation des phénomènes physiques.
La formation correspondante, exigeante en elle-même et longue à acquérir, ne peut être que progressive.
Elle réclame :
l'acquisition des connaissances psychologiques de base ;
leur développement continu tout au long de la carrière, en faisant appel, à chaque échelon de la hiérarchie, à des qualités nouvelles ;
l'exercice pratique des responsabilités de formateur.
C'est pourquoi, trois étapes sont indispensables :
acquérir dans les écoles de formation et d'application les principes généraux et les méthodes pédagogiques leur permettant d'être des animateurs éclairés et efficaces en matière de formation militaire générale ;
en approfondir l'étude, confronter les expériences et en tirer les enseignements, lors des stages de perfectionnement ou de spécialisation, qu'ils seront amenés à suivre au cours de leur carrière ;
mais surtout, au sein du corps de troupe et des unités, développer leur connaissance des hommes au contact de ceux qu'ils commandent, connaissance sans laquelle ils ne sauraient avoir ni influence, ni autorité.
« Seul l'exercice du commandement permet de devenir un chef. »
5 Les chefs de corps et les commandants.
Premiers responsables de la formation des personnels sous leurs ordres, les chefs de corps et les commandants exercent leur action sur leurs cadres mais aussi sur les hommes.
L'action sur les cadres est d'organisation et de contrôle ; par elle sont définis les objectifs, dressés les plans, réparties les tâches, mis en place les indispensables moyens de contrôle.
Il faut souligner ici que, dans l'esprit même de la formation, c'est toute l'activité du corps qui est concernée par cette organisation et pas seulement l'action de formation.
Un moyen efficace parmi d'autres est à la disposition du chef de corps ou du commandant pour associer les cadres à son action : la tenue d'assemblée périodique de révision de l'activité générale du corps avec analyse des résultats, recherche des causes, propositions de nouveaux objectifs pour tous les domaines d'activité y compris le domaine administratif. Ce faisant il crée le champ dans lequel s'oriente naturellement l'action de chacun.
L'action sur les hommes est d'impulsion et d'animation ; par elle le chef de corps amorce le mouvement, le rend nécessaire et irréversible ; cette action se manifeste par des contacts permanents à toute occasion permettant l'échange d'informations directes, fragmentaires certes, mais qui donnent aux informations globales recueillies par les contrôles leur signification.
Aucune des actions sur les cadres et sur les hommes ne l'emporte sur l'autre en utilité ; mais dans et l'autre le chef de corps doit avoir pour souci dominant de convaincre ses cadres du « devoir d'autorité ».
Trop souvent, en effet, celui-ci est considéré comme antinomique de l'action de formation et les actes qui en découlent comme legs du passé ; très particulièrement le contrôle des actes élémentaires de la vie quotidienne est victime de cette sorte de dédain et cependant, eux aussi, autant que tous autres, sont à la fois support et moyen de la formation.
Dans le même esprit, l'action directe du chef de corps ou du commandant sur les sous-officiers vise à assurer l'unité sociale du corps et à en faire la grande famille qu'il devrait être en dehors des différences établies par la hiérarchie.
6 Les échelons supérieurs du commandement.
Ils ne sont pas au contact direct des hommes. Leur rôle est d'orientation générale et d'inspection.
Dans le rôle d'orientation, ils doivent laisser la plus grande initiative aux subordonnés, les conseiller et les aider sans interventions susceptibles de stériliser leurs efforts par de trop strictes directives. La possibilité doit être donnée à chacun de faire œuvre d'imagination dans un domaine qui est essentiellement celui des attitudes concrètes. C'est pourquoi la nécessité d'harmoniser les points de vue, qui est la seule à retenir, tout particulièrement au niveau des chefs de corps ou des commandants, ne doit pas conduire le commandement à multiplier les stages, séminaires et colloques qui ne débouchent très souvent que sur des résultats sans utilité pratique précise.
Dans le rôle d'inspection qui leur est réservé, ils s'attacheront à juger du travail en profondeur en faisant une plus grande place aux visites inopinées de longue durée, propres à déjouer les artifices de présentation. Ce faisant ils apporteront à la formation des jeunes une contribution exceptionnelle en faisant disparaître un des vices du système militaire : la présentation à laquelle on a consacré des jours pour masquer une réalité quotidienne autrement triste.
La vie quotidienne de l'unité, hors toute préparation particulière leur permettra au contraire de discerner grâce à leur expérience qualités et défauts de la réalité. Ils seront ainsi à même à la fois de contrôler l'application des principes de cette instruction fondamentale, et de faire sentir à tous leurs subordonnés l'importance capitale que le gouvernement et le commandement y attachent.