CIRCULAIRE n° 53-38 du garde des sceaux, ministre de la justice, relative aux forces alliées présentes en France en vertu du Traité de l'Atlantique Nord.
Du 03 septembre 1953NOR
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1. Dispositions à prendre au cas d'infraction pénale.
Au cas d'infraction pénale commise en France par un militaire ou assimilé étranger, relevant de la convention du 19 juin 1951 , les parquets devront se conformer aux directives suivantes :
1. Infractions portant atteinte uniquement à la sûreté ou à la propriété de l'Etat d'origine, ou à la personne ou à la propriété d'un militaire ou assimilé relevant de cet Etat.
Ces infractions relèvent en principe de la juridiction de l'Etat d'origine [art. VII, 3o , a) ] sauf le cas très exceptionnel où la loi française en permettrait seule la répression [art. VII, 2o , b) ]. Elles ne comportent donc ordinairement aucune intervention de la part de vos substituts.
Si ceux-ci reçoivent un procès-verbal constatant une telle infraction, ils la dénonceront aux supérieurs hiérarchiques de l'intéressé, en leur laissant le soin d'y donner suite.
S'ils reçoivent une demande de dessaisissement, il leur suffira de répondre que celle-ci est sans objet.
Si, exceptionnellement, un procureur de la République estimait utile qu'une demande de dessaisissement soit formée en faveur de la juridiction française (par exemple parce qu'un délit au préjudice d'un militaire étranger a été commis à la fois par un de ses camarades et par un Français), il devrait saisir d'urgence ma chancellerie, par votre intermédiaire.
2. Infractions commises dans l'exécution du service.
Les mêmes solutions sont applicables.
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3. Autres infractions commises par un militaire, un membre d'un « élément civil » ou une « personne à charge ».
Ces infractions relèvent de la juridiction française [art. VII, 3o , b) ] sauf dessaisissement de sa part (ibid. , § c).
Il appartient donc aux parquets d'en poursuivre la répression dans les conditions habituelles sous les réserves suivantes :
a). Si les poursuites sont de nature criminelle ou correctionnelle, avis doit en être donné à ma chancellerie, par votre intermédiaire, avec un exposé succinct des faits ;
b). S'il y a arrestation, avis doit en être immédiatement donné à l'autorité militaire de l'Etat d'origine [art. VII, 5o , b) ]. Cet avis, qui mentionnera, outre l'inculpation, l'état civil et, si possible, le numéro matricule et la situation militaire de l'inculpé, sera adressé soit à ses supérieurs hiérarchiques, soit à l'autorité la plus proche de la même armée. Au cas d'impossibilité, celle-ci sera signalée dans le rapport adressé à ma chancellerie.
c). Si une demande de dessaisissement est formée, il conviendra, dans l'attente de la décision (cf. ci-après, § V) de surseoir si possible au renvoi devant la juridiction de jugement et au jugement lui-même. Toutefois, aucun retard ne devra être apporté à la poursuite des affaires dans lesquelles le prévenu ou inculpé est préventivement détenu ;
d). La poursuite devant la juridiction française doit être exercée conformément aux dispositions de l'article VII, 9o .
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2. Demandes de dessaisissement.
Au cas où le dessaisissement de la juridiction française est demandé par l'autorité militaire, il convient de procéder comme il suit :
1. Si l'affaire relève exclusivement ou en priorité de la juridiction militaire de l'Etat d'origine (cf. supra IV, 1o et 2o ), le procureur de la République le signale en répondant que la demande est sans objet.
2. Si aucun procès-verbal n'a été établi parce qu'il n'y a pas d'infraction pénale au regard du droit français, ou si le procès-verbal a été classé pour ce même motif, ou si la responsabilité de l'infraction incombe à un tiers, il n'y a pas lieu d'accorder un dessaisissement qui n'aurait aucune portée. Le procureur de la République répondra donc que « la demande de dessaisissement est sans objet, aucune infraction pénale du droit français n'étant relevée à l'encontre du militaire dont il s'agit ».
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3. Si l'affaire ne relève que de la juridiction de simple police, et si aucune victime n'a porté plainte (au cas de plainte, il conviendra de m'en référer comme indiqué ci-après), le procureur de la République, sans avoir besoin de consulter ma chancellerie, sauf au cas de difficulté particulière, décidera, compte tenu des circonstances et de l'opportunité, de la suite à donner à la demande de dessaisissement.
Il y a lieu d'observer à cet égard que certaines infractions qui mettent en évidence la mauvaise conduite d'un militaire (violences légères, ivresse, tapage, dommages à la propriété mobilière, etc.) ne présentent qu'une faible gravité au regard de notre droit, mais revêtent beaucoup plus d'importance pour une armée qui, surtout hors de son territoire national, ne peut accepter que ses militaires discréditent leur uniforme. On ne peut qu'approuver de telles préoccupations, qui sont au surplus de nature à assurer la tranquillité des habitants de notre pays. En conséquence et dans ces affaires, le dessaisissement au profit de la juridiction de l'Etat d'origine sera opportunément accordé s'il paraît devoir conduire à une répression plus énergique.
4. Si l'affaire est correctionnelle ou criminelle (ou si une plainte est déposée à l'occasion d'une contravention de simple police), la décision est subordonnée à l'appréciation de ma chancellerie, conformément à la pratique actuelle.
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3. Aide réciproque. Echange de renseignements.
L'article VII, 6o , prévoit l'échange de tous renseignements utiles entre autorités de l'Etat d'origine et autorités de l'Etat de séjour.
Il ne vous échappera pas que ces dispositions doivent recevoir la plus large application, ces deux Etats étant également intéressés à l'exacte répression d'infractions qui compromettent d'une part la discipline et la réputation de l'armée, d'autre part l'ordre public.
Il convient donc que vos substituts et vous-mêmes communiquiez tous les documents et renseignements qui pourraient être utiles à la conduite des procédures suivies par la juridiction de l'Etat d'origine et, le cas échéant, que les magistrats du parquet fassent procéder, soit sur commission rogatoire, soit par voie d'enquête officieuse, aux investigations qui leur seraient demandées. De leur côté, les magistrats français n'hésiteront pas à réclamer aux autorités militaires de l'Etat d'origine un semblable concours. Bien que ce soit absolument en dehors des prévisions de la convention, j'ai tout lieu de penser que ce concours ne leur serait pas refusé s'il était demandé à l'occasion d'affaires relevant exclusivement de la justice française, et dans laquelle un militaire étranger n'a manifestement d'autre rôle que celui de témoin ; mais en ce cas, il est bien certain que la procédure devrait être menée avec une célérité suffisante pour que ce concours bénévole n'aboutisse pas à retarder le rapatriement et la démobilisation d'un militaire, qui en subirait une gêne imméritée.
Les habitants de notre territoire, s'ils sont tenus de répondre aux convocations de la justice militaire, n'ont aucune obligation à l'égard des juridictions militaires étrangères, même fonctionnant sur notre sol. Notamment, ils ne sont pas tenus de leur fournir leur témoignage. Mais leur abstention risquerait de compromettre la répression d'infractions dont la France ne saurait se désintéresser, puisque tout délit commis sur notre sol porte atteinte à notre ordre public ; elle risquerait également, en entravant la preuve des faits, de compromettre les réparations auxquelles les victimes ont droit. C'est pourquoi il importe que vos substituts, toutes les fois que l'occasion se présentera, fassent appeler sur ces points l'attention des personnels dont le témoignage est sollicité, et les invitent, par la persuasion, à apporter leur concours.
Conformément aux dispositions du paragraphe b) de l'article VII, 6o , MM. les procureurs de la République, chaque fois qu'ils accorderont un dessaisissement, et toutes les fois que la juridiction de l'Etat d'origine sera saisie directement (en vertu de son droit de priorité) d'affaires méritant de retenir l'attention, voudront bien demander à être tenus informés de la suite réservée à l'affaire.
De même, ils devront donner avis à l'autorité militaire de l'Etat d'origine des décisions de la juridiction française.
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4. Dispositions spéciales aux U.S.A.
L'importance des forces des USA présentes sur le territoire français, le nombre d'affaires qui en découlent et qu'il convient de régler aussi simplement que possible, et, d'autre part, la position prise par les autorités fédérales sur certaines modalités d'application de la convention du 19 juin 1951 , m'ont amené à arrêter, en accord avec les services judiciaires de l'armée américaine, les dispositions suivantes :
1. Infractions commises en service commandé et autres infractions relevant en priorité de la juridiction des USA :
L'autorité militaire informera le procureur de la République compétent que l'affaire lui paraît entrer dans les attributions de la juridiction des USA .
Si cette manière de voir lui semble contestable, ou s'il estime qu'il convient de demander un dessaisissement au profit de la juridiction française (cf. supra IV, 1o et 2o ), le procureur de la République le fera savoir à l'autorité qui l'avait saisi, en même temps qu'il informera ma chancellerie par votre intermédiaire. Mais il est indispensable que cette réponse soit faite de toute urgence, l'action pénale, ou disciplinaire, étant susceptible d'être mise en œuvre sept jours après la notification.
2. Affaires mal caractérisées.
Ceux d'entre vous dont le ressort comprend des établissements militaires des USA ont pu constater que de nombreuses demandes de dessaisissement étaient formées dans des affaires (accidents de la circulation notamment) qui ne comportaient aucune suite pénale. L'explication en est que les autorités américaines craignent que le militaire qui rend compte d'un accident à ses chefs ne soit enclin à en minimiser les conséquences, ou que certaines blessures non apparentes ne se révèlent qu'après quelques jours ; elles ont le souci fort louable de ne pas vouloir s'exposer à rapatrier ou déplacer un militaire et à apprendre ensuite seulement qu'il est poursuivi par la justice française.
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3. Les représentants de l'armée américaine en France ont reçu du Sénat des USA des instructions formelles pour envoyer un représentant qui assiste aux débats toutes les fois qu'une personne visée à la convention est traduite devant la juridiction française de jugement. Pour permettre la réalisation pratique de cette assistance, qui est expressément prévue à l'article VII, 9o . g) de la convention, il est indispensable que le ministère public donne avis à l'autorité militaire américaine de la date et du lieu de l'audience. L'avis sera adressé à l'autorité qui avait demandé le dessaisissement si celui-ci avait été refusé, sinon aux supérieurs hiérarchiques de l'inculpé ou, à défaut, à l'autorité la plus proche de la même armée ; si l'affaire n'avait pas donné lieu à une correspondance antérieure, il mentionnera les faits qui motivent la poursuite.
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Une difficulté risque de se présenter, dans le cas de poursuite selon la procédure du flagrant délit, si le prévenu ne demande pas de délai pour présenter sa défense, mais accepte le jugement immédiat. En prévision de cette éventualité, les autorités américaines en France, qui sont tenues par des instructions absolument impératives, demandent à être avisées, par le moyen le plus rapide, de la date et de l'heure de la première comparution devant le tribunal, dans tous les cas de flagrant délit ; elles vous demandent, de la manière la plus pressante, de leur donner la possibilité d'y envoyer un représentant au besoin en différant de quelques heures dans les limites légales, le montant de cette comparution.
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4. Il y a toujours intérêt à ce que les poursuites soient menées rapidement, surtout dans les cas présentant une certaine gravité, afin que l'autorité militaire puisse prendre, dès décision de la justice française, les mesures disciplinaires qu'elle estime appropriées (retrait du permis de conduire, affectation hors du territoire français, retrait du grade, exclusion de l'armée, etc.).
5. Si l'autorité judiciaire française estime que l'une de ces mesures s'impose à l'égard soit d'un conducteur dangereux pour les tiers, soit d'un militaire dont la mauvaise conduite trouble l'ordre ou inquiète la population, il vous appartient de signaler le cas à ma chancellerie qui effectuera les démarches nécessaires.