INSTRUCTION N° TE/2/72 relative au rôle du médecin du travail en matière d'étude et d'aménagement du travail.
Du 03 novembre 1972NOR
LE MINISTRE D'ÉTAT CHARGÉ DES AFFAIRES SOCIALES,
À MM. LES DIRECTEURS RÉGIONAUX DU TRAVAIL ET DE LA MAIN-D'
MM. LES DIRECTEURS DÉPARTEMENTAUX DU TRAVAIL ET DE LA MAIN-D'
MM. LES MÉDECINS INSPECTEURS RÉGIONAUX DU TRAVAIL ET DE LA MAIN-D'
L'article 20 du décret du 13 juin 1969 (1) relatif à l'organisation des services médicaux du travail prescrit que « le médecin du travail est le conseiller de la direction, des chefs de service, des comités d'entreprise, des délégués du personnel, des comités d'hygiène et de sécurité dont il fait partie et des services sociaux en ce qui concerne l'hygiène et la sécurité dans l'entreprise ».
Cette activité doit, notamment, s'exercer sur le plan de :
- «
l'adaptation des postes, des techniques et rythmes de travail aux possibilités collectives et individuelles des travailleurs du point de vue physique et mental ; »
« l'amélioration des conditions de travail, notamment les constructions et aménagements nouveaux. »
L'article 21 (1) précise que « le médecin du travail est obligatoirement consulté pour l'élaboration de toute nouvelle technique de production et tenu informé des modifications apportées à l'appareillage et à l'équipement ».
L'article 22 (1) indique que le « chef d'entreprise est tenu de prendre en considération les avis qui lui sont présentés par le médecin du travail ».
Cet ensemble de dispositions confie au médecin du travail une mission permanente d'étude en matière d'aménagement des postes et des conditions de travail et lui permet d'assumer pleinement son rôle de conseiller, tant auprès des responsables de l'entreprise que des représentants des travailleurs, voire des travailleurs eux-mêmes.
Ce domaine d'action essentiel qui recouvre d'ailleurs celui de la prévention des maladies professionnelles ou à caractère professionnel et des accidents du travail, car l'amélioration des conditions de travail contribue à la prévention de ces risques, s'inscrit dans le tiers du temps d'activité médicale, tel qu'il est déterminé pour chaque entreprise en fonction des effectifs de son personnel, selon les critères précisés à l'article 2 du décret du 13 juin 1969.
Depuis la mise en œuvre de la loi du 11 octobre 1946 (2) relative à l'organisation des services médicaux du travail, les connaissances en matière de physiologie du travail et d'ergonomie ont connu un développement considérable, tant sur le plan de la recherche que sur celui de l'application concrète. Les progrès accomplis se sont traduits par la publication de nombreux ouvrages scientifiques et techniques, l'élaboration de textes réglementaires et de recommandations dans certains domaines particuliers.
En considération de l'expérience ainsi acquise, le médecin du travail se doit, dans l'exercice de ses attributions, de participer activement à l'aménagement et à l'adaptation des postes et des conditions de travail. Sa formation spécialisée, sa place au sein du milieu du travail ainsi que les conséquences éventuelles pour le salarié des risques liés au travail lui donnent un rôle privilégié pour réunir les observations et les informations sur l'homme au travail et aider efficacement par ses conseils le ou les responsables de l'entreprise à procéder aux améliorations nécessaires. Le médecin du travail est, en effet, en mesure d'apporter une contribution importante à l'employeur soucieux de prendre des initiatives hardies dans le domaine de la prévention ainsi que le recommande la circulaire du 6 mai 1965 (3) relative à la politique de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, afin d'alléger la pression des textes et d'éviter de nouvelles mesures réglementaires.
L'objet de la présente instruction est d'orienter précisément l'attention du médecin vers les aspects du travail ainsi évoqués susceptibles d'entraîner des contraintes supplémentaires inutiles, voire excessives ou mêmes dangereuses à terme pour la santé des travailleurs.
En traitant sur le plan indicatif du poste de travail, des ambiances de travail et des conditions de travail, la présente instruction ne reviendra ni sur la pratique des examens cliniques, ni sur l'action spécifique de dépistage et de prévention des risques professionnels déterminés qui ont déjà été traitées.
Le poste de travail
De nombreux facteurs conditionnent le poste de travail et déterminent l'ensemble d'une charge de travail, qu'il s'agisse de son importance ou de sa nature. Parmi ces facteurs, les aménagements dimensionnels et les postures doivent être plus spécialement étudiés par le médecin du travail.
La dispersion des caractéristiques anthropométriques de la main-d'œuvre, du fait de l'âge, du sexe ou de l'origine géographique est en elle-même source de difficultés particulières, en raison de la normalisation des postes et des moyens de travail. L'étude dimensionnelle des postes de travail par rapport aux particularités biométriques des travailleurs qui y sont habituellement affectés ne fait appel qu'à des mesures relativement simples. Elle permet néanmoins au médecin de proposer, s'il est besoin, des aménagements de nature à faciliter la tenue du poste de travail.
L'observation des postures adoptées par le travailleur est souvent riche d'enseignement en ce qui concerne la conception générale du poste, notamment des dispositifs de commande et de contrôle. En cas de station debout prolongée, par exemple, il est possible de rechercher si des commandes au pied ne peuvent être adaptées pour permettre une alternance dans l'exécution des mouvements et ainsi faire varier les postures. Il est également possible de rechercher une relative diversification des tâches à exécuter pour éviter un piétinement permanent. En matière de position assise, l'attention devra être portée sur l'existence d'un appui efficace, de préférence par dossiers réglables.
D'une façon générale, quelle que soit la posture de travail, il importe d'adapter la hauteur des plans de travail à un niveau convenable pour chaque sujet par des aménagements des emplacements devant le poste de travail ou par un réglage de la hauteur du siège. Simultanément, il y a lieu de veiller cependant à réserver sous les plans de travail un espace suffisant pour les membres inférieurs.
Certains postes de travail imposent le maintien prolongé de postures de travail anormales. Faute de pouvoir modifier ces contraintes, il est parfois possible, par des mesures telles que l'alternance des travailleurs qui y sont affectés ou celle des tâches qui doivent être exécutées, d'en réduire la durée.
Dans ces cas qui comportent souvent un important travail musculaire statique, il convient, en effet, de rechercher l'équilibre de la charge de travail grâce à une activité musculaire dynamique, mieux tolérée si elle reste dans certaines limites.
L'étude de la courbe de récupération cardiaque, aisément réalisable sans appareillages spéciaux, peut, par exemple, permettre une première approximation de la charge de travail. Cette technique qui, dans certaines conditions de travail, doit être complétée par des investigations plus élaborées, a pu être utilisée pour évaluer la pénibilité d'un poste de travail et apprécier l'effet des améliorations apportées.
Le développement de l'automatisation et l'accroissement des tâches de contrôle, en donnant plus d'importance à la charge de travail sensorielle et mentale, font que certains postes de travail sont particulièrement exigeants. Les observations recueillies au cours des examens cliniques peuvent attirer l'attention sur les difficultés d'adaptation à de tels postes, du fait de la monotonie ou de la sollicitation excessive de la vigilance qu'ils imposent. Une diversification des tâches, en maintenant une certaine activité motrice, est le plus souvent souhaitable sur le plan physiologique et peut offrir des compensations sur le plan psychique.
Les ambiances de travail
Le milieu de travail peut exposer à des nuisances d'environnement, tels que gaz, vapeurs et poussières, pour lesquelles les dispositions réglementaires précisent dans la plupart des cas les mesures de prévention et de dépistage appropriées. Mais les conditions de travail sont déterminées, par des facteurs d'ambiance de caractère plus général, pour lesquels il importe que le médecin du travail remplisse également son rôle d'observateur et de conseiller de l'entreprise.
Sans analyser l'ensemble de ces facteurs, il est possible d'en mentionner certains qui paraissent souvent en cause.
L'éclairage satisfaisant des locaux et des postes de travail constitue un élément important du confort et de la sécurité, et ceci indépendamment de l'aménagement convenable de la charge visuelle inhérente à l'exécution du travail lui-même. Une grande attention doit être accordée à l'aménagement et à l'entretien de l'éclairage d'ambiance des locaux, tout autant qu'à l'éclairage particulier du poste de travail. Il est aisé de mettre en évidence, par des mesures simples, d'éventuelles inadaptations quantitatives et qualitatives sans omettre de prendre en considération, par exemple, le risque d'éblouissement, l'importance des contrastes, etc.
Le bruit est l'une des nuisances majeures par son rôle dans l'inconfort de nombreuses conditions de travail et la fatigue qui en résulte, outre le risque de surdité professionnelle lié à certaines activités industrielles. Les relevés sonométriques peuvent, surtout s'ils sont mis en corrélation avec des signes de désadaptation des travailleurs, conduire à des aménagements visant à réduire le niveau sonore des ambiances de travail ou à isoler les sources de bruit les plus dommageables lorsqu'il n'est pas possible de les modifier elles-mêmes.
Les vibrations et les trépidations, dont la nocivité est reconnue, concernent non seulement certains postes de travail mais aussi leur entourage et constituent ainsi un facteur nuisible de l'ambiance. Les aménagements à réaliser devraient le plus fréquemment être conçus lors de la fabrication des outils, des machines et des véhicules. Il est néanmoins possible au médecin du travail de rechercher les moyens de porter remède à certaines situations par la mise en place de dispositifs amortisseurs ou antivibratoires, de veiller à l'isolement des sources de vibrations et de trépidations, à l'entretien des sols de roulage, etc.
L'ambiance thermique, élément permanent des conditions de travail, est au minimum un facteur de confort physiologique et bien souvent aussi de sécurité. Hormis le cas particulier de certaines activités extractives et industrielles pour lesquelles elle constitue une nuisance grave imposant des mesures spécifiques, des investigations peuvent parfois être utiles. En effet, des relevés portant sur les différentes composantes de l'ambiance thermique sont indispensables pour formuler un jugement objectif et proposer éventuellement des adaptations. Il convient cependant de tenir compte de la nature des travaux qui influe dans ce domaine ainsi que des habitudes, des comportements et des usages vestimentaires.
Les conditions générales de travail
Certains éléments peuvent être l'occasion d'observations d'ordre physiologique.
En ce qui concerne la durée du travail, il convient de rappeler que les horaires de travail excessifs et prolongés se traduisent souvent par une désadaptation des travailleurs, qu'il s'agisse d'absentéisme, d'accidents du travail ou de conditions sur la production.
En fonction des situations locales, conjoncturelles ou saisonnières, qui peuvent conduire à des dépassements d'horaires, il appartient au médecin du travail de faire connaître ses observations, notamment en ce qui concerne certaines catégories de main-d'œuvre : adolescents, handicapés et travailleurs vieillissants qui justifient une surveillance et parfois des adaptations particulières.
En raison de la variété des situations concrètes de travail, il est difficile de préconiser des règles générales en ce qui concerne les pauses. Il convient, à ce sujet, de tenir compte surtout de la nature de la charge de travail et des caractéristiques de la main-d'œuvre : âge, sexe et origine, de manière à prendre en considération les variations inter-individuelles qui peuvent être considérables. De même, lors de l'affectation de nouveaux travailleurs ou de la mise en route de fabrications, il est nécessaire de veiller à ce que la progression soit adaptée aux capacités réelles de la main-d'œuvre affectée à ces tâches.
L'entreprise constitue non seulement un cadre de travail mais aussi, pour une part, un cadre de vie. L'aménagement de ce cadre peut jouer un rôle déterminant pour l'homme. De ce point de vue, la conception, l'aménagement et l'entretien des locaux de travail, des installations sanitaires, des restaurants et cantines d'entreprise ne sont pas à négliger. Il s'agit non seulement de veiller au respect des règles d'hygiène mais aussi, le cas échéant, de proposer des améliorations de nature à créer un environnement satisfaisant. Les conditions dans lesquelles sont pris les repas et mises à disposition les boissons pourraient fréquemment être mieux adaptées, non seulement pour assurer la couverture des besoins énergétiques et hydriques, mais aussi pour garantir au milieu de la journée de travail, et éventuellement des pauses, une détente nécessaire.
Par ailleurs, dans le cas de travaux imposant des contraintes importantes et exposant à des risques de santé, l'information et l'éducation, tant au moment de la mise au travail qu'ultérieurement, relèvent, pour une grande part, de l'action du médecin du travail.
Bien d'autres facteurs interviennent dans la charge de travail et certains d'entre eux échappent d'ailleurs à une approche médicale. Une liste exhaustive ne peut en être établie dans le cadre de cette instruction, destinée, ainsi qu'il l'a été précisé précédemment, à proposer des orientations.
Toutefois, dans certaines situations de travail, et notamment celles évoquées à titre d'exemples, le médecin du travail peut entreprendre des études, procéder à des mesures en faisant éventuellement appel au concours de techniciens qualifiés dans l'évaluation des divers paramètres de la charge de travail, mesures dont il confrontera les résultats aux observations faites à l'occasion des examens cliniques des travailleurs concernés.
L'ensemble de ces informations et l'analyse qu'il peut en faire, à la lumière des connaissances ergonomiques, doivent servir de base à une information simultanée des responsables et des travailleurs de l'entreprise, notamment dans le cadre du comité d'entreprise et du comité d'hygiène et de sécurité.
De ce fait, le médecin du travail peut contribuer à une prise en considération de certaines situations défavorables, en particulier en ce qui concerne les contraintes de la charge de travail pour certaines catégories de main-d'œuvre tels les travailleurs vieillissants ou handicapés. S'il ne lui appartient pas de prendre à cet égard des décisions, il doit susciter une recherche commune et y participer activement.
C'est ainsi seulement que le médecin du travail pourra pleinement assurer son rôle de protecteur de la santé de l'homme au travail et apporter une contribution réellement efficace à la collectivité du travail.
Je tiens à appeler tout spécialement votre attention sur l'importance que j'attache à la mise en œuvre de ces instructions et vous prie de veiller tout particulièrement à ce qu'elles fassent l'objet d'une large diffusion.
Notes
Pour le ministre d'Etat chargé des affaires sociales, et par délégation :
Le directeur du cabinet,
Yann GAILLARD.