CIRCULAIRE N° 3393/SG du Premier ministre relative au respect des décisions du juge administratif.
Du 13 octobre 1988NOR P R M G 8 8 0 0 0 6 7 C
Le respect des décisions de justice est une exigence fondamentale de la démocratie. Il fait partie intégrante du respect de l'Etat de droit, sur lequel ma circulaire du 25 mai 1988 (1), relative à la méthode de travail du Gouvernement, attirait déjà votre attention.
Cette exigence s'impose avec une force particulière s'agissant de la justice administrative. Celle-ci connaît en effet des litiges opposant citoyens et collectivités publiques et se trouve ainsi amenée, le cas échéant, à censurer des irrégularités ou des abus de pouvoir auxquels l'opinion est légitimement sensible.
Le respect des décisions du juge administratif doit vous conduire, d'une part, à veiller à la pleine exécution des jugements, arrêts et décisions, d'autre part, à n'interjeter appel qu'à bon escient.
1. Exécution des décisions du juge administratif.
Tout défaut d'exécution, tout retard mis à l'exécution, toute exécution incomplète ou incorrecte, par une collectivité publique, d'une décision de la justice administrative sont des offenses à l'Etat de droit. Minant l'autorité du juge, ils peuvent conduire les citoyens à désespérer de la justice. Tout retard d'exécution ne fait en outre qu'accroître les difficultés pratiques et la charge financière qui pèseront en fin de compte sur l'Etat. Je vous rappelle à cet égard que le taux d'intérêt légal est aujourd'hui supérieur au taux d'inflation. L'inexécution expose enfin l'Etat à voir prononcer à son encontre une astreinte, en application de la loi 80-539 du 16 juillet 1980 .
Or, le Conseil d'Etat est de plus en plus souvent saisi de réclamations de requérants qui se plaignent de l'inexécution de décisions de justice rendues en leur faveur. Le nombre de ces réclamations a plus que doublé en six ans pour atteindre le chiffre de 660 affaires par an en 1987. Trois mois avant la fin de la présente année judiciaire, ce chiffre est d'ores et déjà dépassé.
Cette évolution alarmante doit être enrayée. Les décisions juridictionnelles revêtues de l'autorité de la chose jugée sont exécutoires par elles-mêmes. L'administration est tenue de s'y soumettre et de prendre spontanément toutes les mesures d'exécution que ces décisions impliquent. Aucune collectivité publique ne saurait, par négligence ou lenteur, se soustraire à cette obligation.
Aussi ai-je chargé la section du rapport et des études du Conseil d'Etat de me proposer toute réforme législative, réglementaire ou administrative qui serait de nature à prévenir les difficultés d'exécution et, en tout état de cause, à accélérer le règlement des dossiers dont cette section est saisie à ce titre.
Mais, sans attendre les conclusions de cette étude, je vous demande de prendre toutes les mesures qui relèvent de votre compétence pour assurer la bonne exécution des décisions du juge administratif, en rappelant notamment aux administrations centrales et aux services extérieurs placés sous votre autorité le caractère impératif d'une exécution correcte et rapide de la chose jugée. Je vous prie également de veiller à ce que les autorités de contrôle interviennent auprès des collectivités territoriales et de leurs établissements publics pour que les obligations qui leur incombent soient strictement respectées.
2. Appel des jugements et arrêtés défavorables à l'Etat.
L'attitude observée par certains départements ministériels face aux décisions rendues par les juridictions administratives de premier ressort en défaveur de l'Etat me conduit en outre à vous adresser les directives qui suivent.
L'équité, la sécurité juridique et l'encombrement des tribunaux doivent vous inciter à ne jamais interjeter appel à la légère. La décision de faire appel sera donc subordonnée à la réalisation simultanée de deux conditions : probabilité suffisante pour l'Etat d'être victorieux en appel ; réalité de l'atteinte portée par le jugement aux intérêts matériels et moraux de l'Etat.
En application de cette règle, vous vous abstiendrez de faire appel lorsque, en l'état de la jurisprudence, celui-ci n'a que des chances minimes d'aboutir. Je vous demande donc de vous incliner devant la décision du juge de première instance lorsque la question soulevée a été tranchée, dans une autre affaire, par le juge de dernier ressort.
En sens inverse, l'appel est justifié, même si l'enjeu immédiat est limité, dès lors qu'il permet de trancher une question pratiquement ou juridiquement importante pour la bonne marche des services.
L'appel des jugements des tribunaux administratifs n'étant pas suspensif, la décision de faire appel ne peut vous dispenser d'assurer l'exécution diligente du jugement attaqué. Si l'exécution d'un jugement de tribunal administratif pose des problèmes particuliers et que la solution retenue par les premiers juges paraît, selon toute probabilité, devoir être infirmée en appel, il vous est toujours loisible d'assortir l'appel d'une demande de sursis à exécution.
Si vous décidez de faire appel d'un jugement condamnant l'Etat à verser une somme d'argent à un particulier, vous voudrez bien en informer ce dernier et lui rappeler qu'en cas de succès de l'appel, la somme qui lui a été allouée devra être restituée. Trop d'administrés, ayant obtenu, devant les premiers juges, la condamnation de l'Etat, à leur verser une somme d'argent en réparation d'un dommage, se trouvent, faute d'avoir été alertés en temps utile, dans l'impossibilité de restituer tout ou partie de cette somme en cas de succès de l'appel formé par l'Etat.
Les directives qui précèdent s'appliquent également, à compter du 1er janvier 1989, aux pourvois en cassation formés par l'Etat contre les arrêts rendus par les cours administratives d'appel créées par la loi 87-1127 du 31 décembre 1987 .
MICHEL ROCARD.