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DIRECTION DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE : sous-direction du contentieux et des dommages

CIRCULAIRE du Premier ministre relative au traitement des réclamations adressées à l'administration.

Du 09 février 1995
NOR P R M X 9 5 0 0 6 4 6 C

Classement dans l'édition méthodique : BOEM  360.2.6.

Référence de publication : BOC, p. 1089.

Le Premier ministre

à

Mesdames et Messieurs les ministres.

Un récent rapport du Conseil d'Etat (1), a souligné l'attention insuffisante que l'administration accorde généralement aux réclamations qui lui sont adressées.

Comme le relève ce rapport, les demandes préalables et les requêtes gracieuses font le plus souvent l'objet d'un examen superficiel. Elles ne sont pas instruites ou, quand elle le sont, l'instruction se fait à un niveau de responsabilité insuffisant pour permettre la recherche d'une solution et dans un état d'esprit défavorable à l'administré. La tentation du silence, qui fait naître la décision implicite de rejet, l'emporte alors, en raison de sa facilité, sur la raison d'être de la procédure.

Pourtant, la complexité croissante des relations sociales et l'exigence par les administrés d'une meilleure reconnaissance de leurs droits imposent à l'administration de mieux répondre à la demande dont elle est l'objet de la part de la société.

Il convient donc de redonner vie aux procédures de recours préalable. Celles-ci doivent constituer un filtre efficace qui empêche un certain nombre de réclamations de déboucher sur un terrain contentieux.

Je souhaite, par la présente circulaire, vous rappeler les règles applicables en cette matière et insister sur la nécessité pour vos services de procéder à un examen effectif des réclamations qui leur sont adressées.

1. L'obligation pour les administrés de formuler une demande préalable ou un recours administratif préalable.

1.1.

En matière de plein contentieux, l'obligation de saisir préalablement l'administration d'une demande résulte de l'article premier du décret 65-29 du 11 janvier 1965 modifié relatif aux délais de recours. Cette disposition a été reprise dans l'article R. 102 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel. Il est en effet nécessaire, pour pouvoir lier le contentieux, de provoquer de la part de l'administration une décision, explicite ou implicite, rejetant une demande.

La seule exception à cette règle concerne les litiges de travaux publics. Compte tenu des particularités de ce contentieux, où les demandes initiales sont souvent dirigées contre des personnes de droit privé (architectes, entrepreneurs notamment), la prudence commande de ne pas mettre fin à cette exception avant que les conséquences d'une telle réforme n'aient été soigneusement étudiées. A cet égard, je vous serais reconnaissant de me faire part de votre position sur l'opportunité de supprimer cette règle procédurale.

1.2.

Il n'existe pas d'obligation générale de recours administratif préalable dans le domaine de l'excès de pouvoir. Dans les quelques matières où une telle obligation a été imposée, des effets positifs ont été observés. Mais ce résultat a été obtenu parce que des procédures administratives ont été mises en place simultanément pour traiter sérieusement les réclamations. Les dispositions prises pour ouvrir l'accès aux documents administratifs ont ainsi montré combien une démarche axée sur la résolution non contentieuse des litiges peut se révéler fructueuse à condition que des moyens administratifs suffisants lui soient consacrés. C'est pourquoi, avant d'envisager une généralisation de la règle selon laquelle un recours administratif constituerait un préalable obligatoire à la saisine de la juridiction administrative, il convient d'adapter l'organisation des services de l'Etat afin d'assurer le traitement efficace des réclamations. Je vous invite à me saisir de toute proposition à cet effet.

1.3.

Je vous rappelle que, dans tous les domaines où un recours administratif préalable est obligatoire, il vous incombe d'opposer devant le juge administratif, lorsque celui-ci est saisi directement par les justiciables, l'irrecevabilité de la requête. De même, en matière de plein contentieux, l'absence de demande préalable devra être opposée au requérant. En effet, si l'administration répond sur le fond à la requête que lui transmet le juge, ce dernier considère qu'elle agit comme si elle avait été saisie d'une demande préalable et le contentieux se trouve alors lié. Il est donc essentiel, pour donner une portée effective au caractère obligatoire d'une saisine préalable de l'administration, de ne pas omettre de faire valoir cette règle au contentieux.

2. L'examen effectif des demandes préalables et des recours gracieux ou hiérarchiques.

2.1.

Les réclamations dont sont saisis vos services peuvent prendre la forme soit d'une demande initiale (par exemple, pour obtenir la réparation d'un préjudice ou pour demander une intervention administrative afin de régler un problème), soit d'un recours contre un acte existant. Dans ce dernier cas, il peut s'agir de recours gracieux ou hiérarchiques.

Les recours gracieux sont les réclamations portées devant l'autorité même qui a pris la décision dont le requérant veut obtenir la réformation ou l'annulation. Ils sont ouverts de plein droit, même en l'absence de texte (CE, 23 mars 1945, Vinciguerra, Rec. p. 56 et CE, 20 avril 1956, Ecole professionnelle de dessin industriel, Rec. p. 163).

Les recours hiérarchiques sont les réclamations portées devant une autorité supérieure à celle qui a pris l'acte incriminé. Ils sont également ouverts de plein droit à condition que l'autorité saisie dispose bien d'un pouvoir hiérarchique sur l'auteur de l'acte et qu'aucune disposition n'ait expressément écarté cette possibilité. L'autorité saisie d'un recours hiérarchique dispose des mêmes pouvoirs que celle qui a pris l'acte contesté. Elle peut donc fonder sa décision sur des motifs aussi bien de droit que d'équité. Elle peut aussi, par exemple, confirmer l'acte contesté en substituant aux motifs non pertinents retenus par son auteur initial des motifs nouveaux et pertinents (CE, 23 avril 1965, Dame Veuve Ducroux, Rec. p. 231).

Il importe que les réclamations adressées à vos services, sous quelque forme que ce soit, ne soient pas considérées comme des démarches inutiles, dont le seul intérêt est de retarder le moment où le juge sera saisi, mais bien comme l'occasion de réexaminer avec attention les considérations et les circonstances qui ont présidé à l'adoption de la mesure contestée.

2.2.

Le rapport du Conseil d'Etat relève que, lorsque les administrations ont fait l'effort d'organisation nécessaire pour traiter avec attention les plaintes qu'elles reçoivent, elles ont réussi à diminuer considérablement le volume de leur contentieux. Une réforme ancienne de la procédure fiscale a imposé le recours préalable devant le directeur des services fiscaux avant toute saisine du juge. L'administration fiscale s'étant organisée pour examiner avec attention et diligence ces réclamation pré-contentieuses, on observe que les recours contentieux sont très largement évités grâce à cette procédure : sur trois millions de réclamations reçues chaque année par les services fiscaux, quinze mille seulement sont portées devant les tribunaux administratifs. Ainsi, dans l'immense majorité des cas, le contribuable renonce au contentieux, soit qu'il obtienne satisfaction, soit que les explications de l'administration emportent son adhésion.

Plus récemment, l'organisation par le ministère de l'intérieur d'une procédure permettant de régler au stade des requêtes préalables les demandes d'indemnité pour refus de concours de la force publique à l'exécution des décisions de justice a pratiquement tari un contentieux qui était jusque là fort abondant.

2.3.

C'est pourquoi je vous demande de prendre les dispositions nécessaires pour organiser vos services de telle sorte qu'ils procèdent à un examen effectif des réclamations qui leur sont adressées. Une solution uniforme ne peut certes pas être préconisée car les mesures que vous adopterez doivent tenir compte de la nature et du volume des réclamations dont sont saisis vos services, ainsi que des structures de ces derniers.

Cependant vous devrez, autant que possible, vous inspirer des principes suivants :

  • a).  Il conviendra de faire apparaître dans l'organigramme de vos services une cellule, clairement identifiée, de traitement des réclamations. Vous affecterez à cette tâche un personnel disposant des compétences juridiques certaines, sous la responsabilité d'un agent d'un niveau hiérarchique suffisant et qui aura reçu une délégation de signature lui permettant de prendre, dans la majorité des cas, les décisions ou les mesures qu'appellent ces réclamations. En fonction des particularités de chaque administration, la cellule de traitement des réclamations pourra être unique pour l'ensemble du ministère ou bien être désignée au sein de chaque direction, voire de certaines sous-directions lorsque celles-ci ont en charge un secteur particulier où le volume de réclamations est abondant. En tout état de cause, il conviendra de mentionner cette cellule dans les correspondances courantes des services et sur les divers documents ou formulaires administratifs mis à la disposition du public.

  • b).  Dans les services déconcentrés, une cellule pourra être chargée du traitement des réclamations auprès du préfet ou, si le volume des réclamations qu'ils reçoivent le justifie, auprès de certains directeurs départementaux. La responsabilité de la cellule sera confiée à un membre du corps préfectoral ou à un chef de service ayant la capacité de répondre sur le fond aux réclamations les plus courantes.

  • c).  Les cellules qui seront ainsi mises en place devront accuser rapidement réception des réclamations conformément aux dispositions du décret 83-1025 du 28 novembre 1983 concernant les relations entre l'administration et les usagers.

  • d).  Dans toute la mesure du possible, il est souhaitable que les auteurs des réclamations soient reçus s'ils en font la demande.

  • e).  Vous éviterez de faire jouer la règle selon laquelle le silence gardé pendant quatre mois vaut rejet. Vous vous efforcerez, au contraire, de répondre rapidement et de manière explicite et motivée aux réclamations.

A ce sujet, je tiens à souligner quelques règles de conduite dont le respect est essentiel :

Sauf lorsque la réclamation présentée portera sur une affaire particulièrement complexe et nécessitant une instruction approfondie, le délai normal de réponse ne devrait pas excéder deux mois.

Une réponse explicite est toujours préférable à l'absence de réaction. C'est pourquoi, même lorsque le délai de quatre mois aura été dépassé, je tiens à ce que vos services ne se considèrent pas comme dispensés de l'obligation d'adresser des explications au réclamant. Cette démarche aboutira à éviter que l'administré ne saisisse le juge dans le seul but de connaître les motifs du rejet de sa réclamation. L'article R. 102 du code des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel prévoit d'ailleurs que, lorsqu'une décision explicite de rejet intervient dans le délai de deux mois à compter du jour où la période de quatre mois est écoulée, le délai de saisine du juge administratif est prolongé. Au surplus, la préparation de la réponse permet à l'administration d'évaluer, dès la phase préalable, le risque contentieux. S'il apparaît alors qu'elle se trouve dans son tort, elle peut sans attendre préparer une solution de repli raisonnable, par exemple transactionnelle.

En préparant la réponse, vos services ne doivent pas s'en tenir exclusivement à une analyse juridique étroite du problème posé. Il faut qu'ils prennent aussi en compte les considérations de fait qui peuvent être pertinentes. La rigueur du raisonnement juridique ne doit pas exclure le sens de l'équité, en particulier lorsque l'administration a le choix entre plusieurs solutions juridiquement acceptables. Je souhaite que les recours administratifs soient examinés non seulement sous l'angle du droit mais aussi avec la volonté de parvenir à un arrangement satisfaisant dans tous les cas où cela est juridiquement possible et n'est pas contraire aux intérêts généraux dont le service public a la charge.

En cas de rejet d'une réclamation préalable, il importe de mentionner dans la réponse les voies et délais de recours contentieux tels qu'ils sont prévus par les textes. Cette mention est favorable tant à l'usager (que l'administration doit informer de ses droits) qu'à la collectivité publique qui, faute de prendre cette précaution, ne ferait pas courir le délai au terme duquel sa décision ne peut plus être contestée au contentieux.

Les efforts entrepris depuis plusieurs années par vos services pour améliorer leurs relations avec les usagers et mieux répondre à leurs attentes ne doivent pas se relâcher. Outre le respect du droit, qui s'impose à l'administration, une attention plus grande à l'égard des citoyens, de leurs aspirations et de leurs doléances, une disponibilité plus grande à l'explication peuvent prévenir nombre de litiges. Pour beaucoup de conflits, faute de pouvoir s'exprimer et se régler par des voies plus directes, la voie contentieuse constitue, malheureusement, la seule issue. Je souhaite que l'action administrative contribue à inverser cette tendance.

Vous voudrez bien me rendre compte, dans un délai de trois mois, des dispositions que vous aurez prises en application des présentes instructions.

Edouard BALLADUR.