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DIRECTION CENTRALE DU SERVICE DE SANTÉ DES ARMÉES : Sous-Direction action scientifique et technique ; Bureau technique

CIRCULAIRE N° 778/DEF/DCSSA/2/TEC relative aux règles de l'emploi de la biologie dans la prévention de l'alcoolisme dans les armées.

Du 26 février 1982
NOR

Référence(s) :

Notice technique n° 97/DEF/DCSSA/2/RT/2 du 11 janvier 1978 (n.i. BO).

Décision n° 4325/DEF/DCSSA/2 du 14 décembre 1981 (n.i. BO).

Alcoologie et forces armées, colloque de Libourne, mai 1980.

Classement dans l'édition méthodique : BOEM  510-3.1.2.3.

Référence de publication :  BOC, 1984, p. 1208.

Les médecins des armées ont à prendre une part importante de la prévention de l'alcoolisme dans les armées au niveau de la collectivité militaire par l'éducation sanitaire et comme conseiller technique du commandement et au niveau des individus par leur action personnelle dans le cadre de la médecine de soins comme dans celui de l'aptitude à servir.

Dans ce dernier domaine ils ont à reconnaître l'alcoolisme, dès son stade initial afin de prévenir l'évolution ultérieure vers l'alcoolo-dépendance. Ils s'appuient pour cela sur les données de l'examen clinique et sur celles des examens complémentaires jugés utiles tels ceux cités dans les documents de référence, essentiellement le dosage sanguin de la gamma glutamyl transpeptidase (γGT) et la mesure du volume globulaire moyen (VGM).

La présente circulaire fixe les principes qui doivent orienter la conduite à tenir pour la pratique de ces examens complémentaires.

1.

Les dosages biologiques s'imposent quand les conditions de l'aptitude au service comportent l'absence de tout stigmate d'éthylisme.

C'est le cas des emplois ou des spécialités qui exigent une disponibilité opérationnelle totale ou qui mettent en jeu la sécurité des individus ou de la mission.

La liste de ces emplois est dressée par les états-majors concernés dans leurs instructions sur l'aptitude au service.

Ce sont par exemple : la navigation sous-marine, la plongée sous-marine, la navigation aérienne, le contrôle de la navigation aérienne, la désignation à servir outre-mer, le séjour sur les terres australes et antarctiques françaises…

Dans le cadre de la médecine du travail, c'est le cas de la conduite des véhicules poids lourds et de certains emplois de sécurité.

Dans ces circonstances, le patient est informé de la nature des examens qui lui sont imposés par la réglementation.

2. Les dosages biologiques sont à la libre disposition du médecin dans tous les autres cas :

  • dans le cadre des visites médicales périodiques.

    Destinées à contrôler l'état de santé des individus en vue de vérifier leur aptitude générale au service, elles permettent au médecin de jouer son rôle de conseiller privilégié. De même qu'il a coutume de proposer des examens complémentaires soit orientés par la clinique soit pour le dépistage de maladies inapparentes, métaboliques, vasculaires, ou dégénératives de même il peut proposer, quand l'opportunité s'en présente, le dosage de la γGT et la mesure du VGM ;

  • dans le cadre de la médecine de soins.

    Le choix des examens nécessaires à la conduite du diagnostic relève du colloque singulier entre le patient et le médecin.

3. Cas particulier des enquêtes épidémiologiques.

La mesure de l'incidence de l'alcoolisme parmi les personnels du ministère de la défense, utile à la conduite des actions de prévention menées par le commandement, peut se référer à plusieurs indicateurs, tels les punitions pour ivresse, les accidents de la circulation, les accidents du travail, la pathologie d'origine alcoolique, la consommation des boissons alcoolisées…

Elle peut aussi se faire sur le dépistage clinique et biologique des buveurs excessifs.

Dans ce dernier cas, les règles suivantes doivent être observées pour ce qui intéresse le service de santé des armées :

  • les personnels concernés par l'enquête épidémiologique doivent avoir donné leur assentiment.

    La campagne préalable d'information et de sensibilisation sur l'alcoolisme, l'effet d'entraînement collectif, la confiance instaurée, permettent d'obtenir l'adhésion de la collectivité considérée ;

  • l'exploitation des résultats de l'enquête doit garantir l'anonymat des participants ;

  • la prise en charge des frais des examens de laboratoire doit avoir été acceptée par la direction centrale du service de santé des armées ou par la direction des personnels civils ou par les chefs des établissements concernés.

  • les résultats de ces études sont à faire connaître au comité médical central d'études sur l'alcoolisme dans les armées, sous-couvert de la direction centrale du service de santé des armées.

4. Prise en charge thérapeutique.

Il ne doit jamais être perdu de vue que le dépistage, quelles que soient ses circonstances, doit conduire à la prise en charge et au traitement des malades ainsi reconnus.

Les médecins des armées trouveront d'utiles conseils dans la lecture des communications consacrées au thème III du congrès de Libourne « Traitement et réinsertion sociale du personnel civil et militaire alcools dépendant » comme auprès des spécialistes des hôpitaux des armées dont dépendent leurs unités et dans la note technique jointe ci-après.

Pour le ministre de la défense et par délégation :

Le médecin général inspecteur, directeur central du service de santé des armées,

TOURNIER-LASSERVE.

Annexe

Annexe NOTE TECHNIQUE.

PLACE DU DOSAGE DE LA γGT DANS LA PRÉVENTION DE L'ALCOOLISME DANS LES ARMÉES.

A l'évidence, la lutte contre l'alcoolisme dans les armées ne se limite pas à la pratique d'une technique médicale. C'est un véritable bouleversement des comportements qu'il importe d'obtenir et ceci au plan national.

Le commandement, pour la part de responsabilité qui lui revient, a entrepris depuis plusieurs années déjà une action vigoureuse et résolue, traduite, en pratique, par le contrôle des consommations dans les unités, le recours aux sanctions disciplinaires, voire aux sanctions statutaires.

Le service de santé des armées prend également sa part de prévention de l'alcoolisme :

  • par l'éducation sanitaire collective tout d'abord, dans laquelle l'alcoolisme tient une place privilégiée parmi les fléaux sociaux qui sont les thèmes de base de cette éducation ;

  • par l'information personnalisée, qui s'exerce à toute occasion dans un climat de confiance grâce à la connaissance parfaite des individus et du milieu dans lequel ils servent que possède le médecin de l'unité ;

  • par la collaboration apportée au commandement, comme conseiller technique et comme témoin privilégié des résultats des actions entreprises.

A la suite du colloque international tenu à Libourne en mai 1980 sur le thème alcoologie et forces armées et après la publication du rapport au Président de la République du groupe de travail présidé par le professeur Jean Bernard en août de la même année sur la prévention de l'alcoolisme en France, les autorités responsables de la collectivité militaire ont entrepris de renforcer l'efficacité de l'action qu'elles mènent dans ce domaine.

Informées par les articles de presse et par les débats médicaux auxquels elles ont participé, elles ont porté le plus grand intérêt aux différentes méthodes biologiques de reconnaissance des états d'imprégnation éthylique, notamment à celles qui paraissent les plus aisées à mettre en œuvre, tels le dosage de la gamma-glutamyl transpeptidase (γGT) et la mesure du volume globulaire moyen (VGM), qu'une circulaire ministérielle émanant de la direction centrale du service de santé des armées avait signalées à l'attention des médecins des armées dans le cadre de la médecine du travail depuis janvier 1978.

Dès lors, en 1980, puis en 1981, la direction centrale du service de santé des armées a eu à étudier des demandes de plusieurs provenances visant à rendre systématique et obligatoire la prescription de ces examens biologiques dans le cadre des diverses visites médicales d'aptitude auxquelles sont assujettis les personnels civils et les personnels militaires sous contrat et de carrière en vertu de la réglementation du ministère de la défense, afin de renforcer les mesures de prévention de l'alcoolisme dans les armées.

Les partisans de cette mesure qui se comptent aussi bien dans les rangs du commandement que dans ceux du service de santé des armées proposent de cette manière d'atteindre plusieurs objectifs :

  • assurer le dépistage de l'alcoolisation des personnels ;

  • renforcer les exigences de l'aptitude au service ;

  • exercer un effet de dissuasion dans le cadre de la prévention pour améliorer la santé des personnels.

Le dosage de la γGT est-il nécessaire et suffisant pour le dépistage ?

Les données de la bibliographie consacrée au sujet, comme les enseignements tirés de plusieurs campagnes de dépistage des excès de consommation d'alcool menées au cours de l'année 1981 dans des établissements et des unités sous l'impulsion ou avec l'accord du commandement, permettent de répondre à la question posée.

Il est patent du point de vue médical tout d'abord, que la reconnaissance des états alcooliques repose sur les données de la clinique et que la biologie le plus souvent verse au dossier une confirmation du diagnostic. La prééminence de la clinique s'affirme encore quand on sait qu'elle doit prendre en compte environ 12 p. 100 de résultats faux positifs et 18 p. 100 de résultats faux négatifs.

C'est souligner la fragilité d'un dosage sanguin considéré isolément et la difficulté de l'interprétation des taux de valeur limite pour diviser la population en deux groupes, les alcooliques et les autres. La reconnaissance de l'état de buveur excessif doit résulter d'un faisceau d'arguments tirés de l'examen clinique et d'examens complémentaires biologiques que le médecin interprète avec bon sens à la lumière de ses connaissances techniques et de son expérience.

D'un point de vue statistique, les auteurs de ces campagnes de dépistage s'accordent à penser que les résultats obtenus n'ont apporté aucune information qui ne soit déjà connue du commandement ou du service de santé : globalement, les valeurs significatives de l'élévation du taux sérique des γGT ont concerné, selon les catégories du personnel considérées, entre 11,2 et 27,6 p;100 des effectifs soumis à l'examen ; l'imprégnation alcoolique chronique est peu fréquente avant l'âge de 25 ans, elle s'accroit avec l'âge et donc l'ancienneté de service, elle est relativement moins marquée chez les personnels possédant une qualification technique élevée.

L'acceptation de l'examen biologique par les personnels auxquels il est proposé est aussi à considérer. Le dosage de la γGT ne peut pas en effet être assimilé à d'autres examens biologiques sanguins et urinaires qui sont pratiqués à titre systématique. Il reste un examen complémentaire mis au même titre que d'autres à la disposition du médecin pour compléter son diagnostic. Si la plupart des personnels militaires, convenablement informés, ont facilement accepté dans le cadre d'une campagne d'éducation sanitaire sur l'hygiène alimentaire, le principe d'investigations complètes systématiques cliniques et biologiques, il n'en est pas de même dans tous les cas, quand la crainte d'une violation du secret médical et de sanctions professionnelles suscite les plus grandes réticences.

S'il faut enfin mettre en balance le coût de la mesure et son efficacité, il convient de savoir que le dosage de la γGT et l'hémogramme comportant la mesure du VGM sont facturés à environ 20 francs chacun. La dépense qui résulterait de la généralisation indiscriminée de ces dosages serait importante. Elle explique que les chefs des établissements industriels de la défense, aussi déterminée soit leur résolution de développer la lutte antialcoolique, aient renoncé à assumer les frais des campagnes de dépistage basées sur la pratique des examens biologiques. Ils ne prendraient pas plus en charge le coût qu'entraînerait leur utilisation permanente alors que les exigences actuelles de la législation de la médecine du travail ne les imposent pas.

Le dosage de la γGT est-il un élément d'appréciation de l'aptitude au service ?

Il est vrai, dans le domaine de l'aptitude au service, que seules sont bien répertoriées et bien catégorisées les différentes affections viscérales neurologiques et psychiques de l'éthylisme chronique et qu'il n'existe aucune rubrique similaire consacrée à l'état de buveur excessif.

On peut considérer que l'imprégnation alcoolique chronique place les intéressés, schématiquement, en trois situations au regard de l'activité professionnelle :

  • les maladies d'origine alcoolique dont ils sont atteints les rendent incapables d'exercer tout service : ils sont placés, dans les conditions réglementaires, en congé de maladie de la position de non activité ;

  • ces mêmes affections, moins évoluées, n'entraînent pas d'incapacité prolongée : ils assurent leur service en fonction des restrictions éventuellement observées et bénéficient, en tant que de besoin, des congés de maladie utiles, dans la limite des droits statutaires ;

  • les examens médicaux révèlent une consommation excessive d'alcool sans altération somatique ni substratum psychopathologique important : il n'existe aucune invalidité, mais certains emplois peuvent être interdits.

Si ces trois cas peuvent être classés d'après l'ensemble des constatations cliniques et paracliniques, il n'est pas possible en ce qui concerne la γGT, d'établir un parallèle entre eux et les valeurs du dosage observés dans chacun des cas. Et si, aux faux négatifs déjà signalés, on ajoute le fait que la régression de l'anomalie biologique s'obtient assez rapidement après le sevrage, on voit qu'on ne saurait fonder une décision d'aptitude sur une cotation inspirée de la variation d'un dosage biologique.

Le titre XVIII de l'instruction no 3000/DEF/DCSSA/2/SA du 1er octobre 1976 (BOC, p. 3835) modifiée, relative à la détermination de l'aptitude médicale au service, envisage maintenant les conséquences sur l'aptitude de l'alcoolisme en général.

Il est dès lors possible de répondre avec toute la précision nécessaire au souci du commandement d'écarter les personnels alcooliques des emplois qui mettent en jeu la sécurité des personnes ou l'efficacité de la mission, comme c'est le cas par exemple pour la navigation sous-marine, la plongée sous-marine, la navigation aérienne, le contrôle de la navigation aérienne, le séjour outre-mer, le séjour sur terres australes et antarctiques françaises, la conduite des véhicules poids-lourd.

Il va de soi que les décisions d'inaptitude proposées dans ce cadre, en dehors des cas relevant de la mise en non activité, ne peuvent concerner que des emplois particuliers et non l'aptitude générale au service, indépendamment des sanctions statutaires qui pourrait justifier la manière de servir des intéressés, qui sont de la compétence exclusive du commandement.

Le dosage de la γGT contribue-t-il à la prophylaxie de la maladie alcoolique ?

Chez la plupart des individus, le refus de l'idée de la maladie engendre une incrédulité naturelle et ce, d'autant plus que les effets de la maladie sont inapparents, bien tolérés ou acceptés ; dans le cas de la maladie alcoolique, s'ajoutent l'ignorance ou la dissimulation.

Il est des plus utiles, dans ce cas, que le médecin puisse s'aider d'un élément mesurable pour appuyer son propos et convaincre le patient de le prendre en considération.

Par la suite, après avoir obtenu le retour à une hygiène alimentaire satisfaisante, la surveillance clinique peut se doubler de contrôles biologiques dont les résultats sont commentés aux intéressés.

C'est à cette méthode qu'on peut imputer les succès observés chez 40 p. 100 environ des buveurs excessifs, pour la plupart par entraînement socioprofessionnel, qui échappent ainsi à l'évolution vers l'éthylisme chronique confirmé.

Mais faut-il pour autant faire du dosage de la γGT un arme de dissuasion systématiquement utilisée, dont le résultat serait de plus divulgué, afin d'augmenter l'effet recherché ?

On ne saurait y consentir. Il en est de la maladie alcoolique comme de toutes les autres, les règles de la déontologie médicale et du secret professionnel médical s'appliquent à elle avec les mêmes exigences.