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DIRECTION CENTRALE DU SERVICE DE SANTÉ DES ARMÉES : Sous-Direction action scientifique et technique ; Bureau recherche et technique

INSTRUCTION TECHNIQUE RT N° 2 du ministère du travail relative à la surveillance médicale des travailleurs postés.

Du 08 août 1977
NOR

Classement dans l'édition méthodique : BOEM  513.3.2.4.1.

Référence de publication : BOC, 1978, p. 5116.

Par arrêté du 11 juillet 1977 (1), le travail en équipes alternantes comportant un poste de nuit a été inclus dans la liste des travaux donnant lieu à une surveillance médicale spéciale.

Cette organisation particulière du travail n'est pas acceptée par tous les individus, certains de ceux qui y sont affectés présentant, de façon plus ou moins précoce, des manifestations d'intolérance.

Sans préjuger des mesures susceptibles d'intervenir dans la limitation ou l'aménagement du travail posté, il importe dès maintenant de mieux adapter la surveillance médicale de cette catégorie de travailleurs, en tenant compte des difficultés particulières qu'ils risquent de rencontrer du fait de leur travail.

Afin de mieux saisir le retentissement du travail posté sur l'organisme, il convient tout d'abord de rappeler l'importance et la complexité des rythmes chronobiologiques. Ces rythmes se retrouvent au niveau des différents organes, des régulations hormonales, mais aussi des fonctions mentales, l'optimum d'activité se situant en général pendant la journée. Il est donc aisé de comprendre que l'inversion du rythme de travail-repos, par rapport au rythme propre de l'organisme suppose, pour ce dernier, un effort particulier d'adaptation.

Certains sujets pourront apparemment assurer cette adaptation pendant un temps plus ou moins long. Toutefois, faute d'études précises ou assorties d'un recul suffisant, il est encore difficile d'en apprécier le retentissement lointain sur l'organisme. Par contre, d'autres travailleurs abandonneront rapidement cette forme d'activité professionnelle, l'effort nécessaire excédant leurs marges d'adaptation.

Les manifestations pathologiques habituellement remarquées ou signalées après un certain temps d'affectation sont constituées par l'altération de la qualité du sommeil, des troubles gastro-intestinaux, un état de fatigue qui n'est plus ou mal réparé par le sommeil, des troubles du comportement tels qu'irritabilité, anxiété, plus rarement des troubles cardio-vasculaires.

La grande diversité des réactions individuelles amène à rechercher les éléments susceptibles de retentir effectivement sur la faculté d'adaptation de l'organisme à ce rythme de travail :

  • l'existence d'antécédents pathologiques touchant au sommeil, aux fonctions digestives, endocriniennes, à l'équilibre psychique, entraîne de façon évidente une vulnérabilité particulière à l'égard du travail posté ;

  • la survenue d'une maladie, sans lien de cause à effet avec le travail posté lui-même, ou d'un accident, même lorsque ceux-ci ne laissent pas de séquelles apparentes, peut atténuer de façon plus ou moins durable l'adaptabilité de l'organisme ;

  • le vieillissement, processus physiologique qui s'installe en dehors de toute maladie particulière, réduit les marges de tolérance et d'adaptation, notamment à partir de 45-50 ans. De plus, après un certain nombre d'années en travail posté, peut se produire un relatif épuisement de l'organisme, compte tenu de l'effort continu d'adaptation qui a été nécessaire. Ces faits, dont les conséquences se conjuguent, expliquent les signes de désadaptation observés chez les travailleurs vieillissants ayant pourtant bien toléré, en apparence, le travail posté pendant de nombreuses années.

Enfin, quel que soit l'état de santé ou l'âge du sujet, interviennent des facteurs psycho-sociaux d'environnement familial et de vie collective, tant dans la motivation pour cette forme de travail que dans la tolérance individuelle.

Aussi pour mener à bien sa mission, qui est d'éviter toute altération de la santé du fait du travail, le médecin du travail doit :

  • a).  Écarter les sujets dont les antécédents ou l'état de santé contre-indiquent l'affectation à ce type de travail.

  • b).  Conduire une surveillance particulière qui doit associer :

    • la recherche et l'identification de manifestations précoces souvent peu spécifiques mais néanmoins significatives d'un retentissement du travail posté sur l'organisme, stade où ces phénomènes peuvent être rapidement réversibles si l'individu est soustrait à ce type de travail ;

    • la détection toujours aussi précoce que possible d'une réduction de la faculté de tolérance du sujet au travail posté, en fonction de maladies intercurrentes, indépendantes du travail lui-même, ou du vieillissement de l'organisme ;

    • un dialogue de qualité avec le travailleur pour obtenir une compréhension réciproque, les troubles résultant du travail posté étant dans l'ensemble peu spécifiques et à caractère souvent subjectif. Cela suppose que le médecin apporte à cet entretien individuel assez de disponibilité d'esprit et de temps.

Par ailleurs, compte tenu de ce que la tolérance de l'organisme vis-à-vis des exigences du travail posté varie considérablement suivant les individus, et au cours de la vie professionnelle d'un même individu, la surveillance médicale particulière de cette catégorie de travailleurs doit comporter non pas des examens cliniques systématiquement plus fréquents pour tous et durant toute leur carrière, mais des modalités de surveillance individualisées en fonction de chacun.

Examen préalable à l'affectation

Un travailleur ne doit pas être affecté au travail posté sans avoir été examiné auparavant par le médecin du travail.

L'objectif de ce premier examen est d'éviter que les sujets pour lesquels ce travail est manifestement contre-indiqué y soient affectés.

Il doit comporter tout d'abord un entretien avec le sujet au cours duquel le médecin étudiera en particulier :

  • la durée et la qualité du sommeil, ainsi que l'usage éventuel de médicaments psychotropes ;

  • l'équilibre psychique ;

  • les antécédents organiques ou fonctionnels, notamment dans le domaine de la pathologie digestive, ainsi que les traitements qu'ils ont entraînés ou nécessitent encore.

Le médecin doit également s'informer :

  • des conditions de vie familiale et de logement ;

  • des modalités et de la durée des transports ;

  • de l'importance des activités extra-professionnelles susceptibles d'amputer les temps de repos ;

  • de la motivation personnelle du sujet pour cette forme de travail.

L'examen clinique, bien qu'orienté par l'interrogatoire, doit être complet. Il a pour but de préciser les éléments d'information apportés par l'entretien et de rechercher les signes d'une pathologie latente. De plus, il constitue une base de référence indispensable pour suivre ultérieurement le travailleur et saisir précocement les signes d'une désadaptation naissante.

Au moment de formuler son avis, le médecin du travail pourra considérer comme des contre-indications à une affectation au travail posté :

  • les antécédents avérés de troubles du sommeil, de troubles psychiatriques, de troubles gastro-intestinaux ou ceux en cours de traitement ;

  • la spasmophilie latente ou décompensée ;

  • les affections peu compatibles avec une modification du rythme des repas ou des temps de repos (diabète, dysfonctionnement thyroïdien, surrénalien notamment) ;

  • la poursuite de traitements susceptibles de modifier la vigilance (psychotrope par exemple).

Il y a lieu de rappeler, par ailleurs, que pour se prononcer sur l'aptitude du salarié, le médecin doit également tenir compte des exigences propres au poste de travail lui-même ainsi que de la périodicité de l'alternance des postes.

Il faut souligner enfin qu'il n'existe pas d'épreuve ou d'examen spécifique permettant d'affirmer avec certitude qu'un travailleur pourra s'adapter au travail posté et qu'ainsi seule la mise au travail permettra de juger.

Surveillance médicale des travailleurs en poste

  • 1. Au cours de la première année

    L'expérience montre que, au cours des premiers mois ou de la première année, un tiers des sujets apparemment sains, affectés pour la première fois au travail posté, présente des manifestations d'inadaptation, qui peuvent conduire à l'abandon spontané de cette forme de travail ou à la mutation.

    Une surveillance particulière doit être exercée durant cette phase initiale, l'examen médical étant renouvelé au moins deux mois, puis six mois et un an après l'affectation. De plus, le travailleur doit pouvoir à tout moment solliciter l'avis du médecin du travail.

  • 2. Surveillance ultérieure

    Les travailleurs affectés de façon durable au travail posté, et qui semblent bien le tolérer, constituent une population à risques, car cette adaptation peut, à tout moment, se trouver remise en question par :

    • des modifications intervenant dans le travail lui-même : exigences du poste ou de l'organisation générale du travail ;

    • la survenue d'une pathologie intercurrente ;

    • la réduction des facultés d'adaptation en liaison avec le vieillissement de l'organisme ;

    • des changements dans l'équilibre de la vie personnelle et familiale.

    Une désadaptation liée aux modifications du travail lui-même doit amener le médecin à réétudier le poste de travail et les aménagements nécessaires.

    Dans le cas de survenue d'une pathologie intercurrente de perturbations dans l'équilibre personnel ou familial, le médecin doit en évaluer le retentissement prévisible sur les facultés d'adaptation du sujet et, si celles-ci se trouvent réduites, être ainsi en mesure de demander une mutation avant même que n'apparaissent des signes de désadaptation.

    En règle générale, les examens de reprise après maladie ou accident, ainsi que ceux pratiqués à la demande du sujet constituent dans tous ces cas, un élément primordial de la surveillance médicale et présentent d'une façon générale plus d'intérêt qu'une fréquence accrue des examens systématiques, celle-ci ne pouvant se trouver justifiée que pour le travailleur vieillissant.

    Le médecin se doit impérativement de ne pas maintenir en poste les sujets chez qui apparaîtraient, soit au cours de la première année, soit ultérieurement, des affections définies au paragraphe précédent comme des motifs d'inaptitude ainsi que ceux qui, pour faire face au travail posté, ont recours à des médications prises spontanément ou suivent des traitements médicamenteux réguliers sous contrôle de leur médecin traitant.

    Par ailleurs, l'aptitude des travailleurs postés est à reconsidérer toutes les fois qu'apparaissent chez ces sujets des troubles du sommeil, des troubles digestifs notamment gastriques, des perturbations d'ordre psychiatrique ou un affaiblissement de l'état général accompagné d'asthénie et notamment d'une modification sensible de la courbe pondérale.

Surveillance des travailleurs mutés

Lorsqu'un travailleur ne peut, pour des raisons médicales, être maintenu en travail posté, il y a lieu de procéder à un bilan médical du sujet.

Une surveillance médicale ultérieure plus étroite devra être maintenue dont l'objectif est de préciser l'évolution de la pathologie observée et d'en éviter l'accentuation.

Considérations générales

Tout au long de la surveillance médicale, l'examen doit toujours être conduit avec la même rigueur. L'interrogatoire, pratiqué par le médecin lui-même, doit reprendre notamment l'ensemble des domaines ayant fait l'objet d'une investigation particulière lors de l'examen préalable à l'affectation. Seule cette façon de procéder permet de mieux suivre l'évolution du sujet. A titre d'exemple, il a été noté que l'apparition de troubles du sommeil constituait souvent, chez le travailleur vieillissant, le signe le plus précoce de désadaptation.

Le médecin doit, en plus, connaître tous les arrêts de travail pour maladie, intervenus depuis le dernier examen, même ceux n'ayant pas donné lieu, du fait de leur courte durée, à une visite de reprise. Il semble en effet que des arrêts de travail répétés soient susceptibles de traduire un déséquilibre naissant.

Des examens complémentaires, déterminés en fonction de constatations faites au cours de l'interrogatoire ou de l'examen clinique, peuvent être nécessaires pour préciser la signification d'une symptomatologie éventuelle.

De plus, il est envisageable que dans un proche avenir, compte tenu notamment de l'évolution des connaissances en matière de chronobiologie, des épreuves biologiques, témoignant d'une réactivité particulière de l'organisme et d'un début de désadaptation, puissent être pratiquées de façon systématique.

A l'occasion des examens médicaux, le médecin se doit également de donner au travailleur les informations et conseils propres à favoriser son adaptation. A cet égard, il convient d'insister notamment sur les points suivants :

  • la nécessité d'un sommeil quotidien suffisamment long, quel que soit l'horaire du poste de travail, ainsi que le respect des temps de repos ou de détente réguliers. Des activités extra-professionnelles trop importantes, qui réduiraient de façon notable ces temps de repos, risquent d'entraîner une fatigue excessive que l'organisme ne peut plus compenser ;

  • l'importance d'une hygiène et d'un comportement alimentaire adaptés afin de préserver l'équilibre quotidien des apports calorifiques et d'assurer la satisfaction des besoins hydriques, sans pour autant accroître le nombre des repas en fonction des horaires de travail ;

  • éventuellement, la mise en garde vis-à-vis d'une trop grande générosité dans les dons du sang.

L'action du médecin doit porter sur les conditions réelles de travail. Or, celles-ci peuvent varier sensiblement au cours des trois postes, notamment en ce qui concerne l'environnement général. Aussi est-il demandé au médecin du travail d'effectuer des visites des lieux de travail et d'étudier les conditions de travail sur l'ensemble des horaires de travail du personnel, y compris durant le poste de nuit.

Dans la mesure où les installations le permettraient et où ceci n'entraînerait pas de déplacement supplémentaire pour les travailleurs, et sans faire obstacle à l'objectif prioritaire de réduction des effectifs de salariés en poste de nuit, il est recommandé que des consultations soient organisées durant le poste de nuit.

Il appartient également au médecin du travail de participer, avec les responsables de l'entreprise, à l'étude des conditions de travail et des modalités d'organisation du travail posté les mieux adaptées aux travailleurs en fonction du type d'activité.

Enfin, il importe que soient mieux connus à l'avenir, les facteurs individuels d'inadaptation ou de désadaptation, afin de pouvoir agir plus précocement pour prévenir l'apparition de manifestations pathologiques.

Des études à moyen et à long terme devraient en conséquence être menées, à partir notamment des données recueillies à l'occasion de la surveillance médicale des travailleurs postés ou ayant quitté le travail posté pour des raisons médicales.

En conséquence, il convient que les données soient relevées de telle façon qu'elles puissent être ultérieurement utilisées dans cet objectif de recherche. A cet effet, le dossier médical de base sera complété par une fiche type sur laquelle seront consignés les éléments particuliers au travail posté.

Notes

    1BOC, p. 3491.

Le maître des requêtes au conseil d'Etat, directeur des relations du travail,

Pierre CABANES.