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AUTRE du Conseil d'État, société nationale des chemins de fers français (explosion de Sézanne).

Du 21 octobre 1966
NOR

Classement dans l'édition méthodique : BOEM  361.1.

Référence de publication : Rec. Dalloz, 1967, p. 164.

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Vu l' ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;

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DÉCIDE :

Contenu.

 

Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'au cours du chargement en gare de Sézanne le 9 janvier 1957 de 5 wagons de munitions par des militaires appartenant à l'armée de l'air une explosion suivie de plusieurs autres s'est produite à l'intérieur des wagons, tuant ou blessant plusieurs personnes et causant des dégâts à des installations et à du matériel appartenant à la SNCF ou à des particuliers ; que, si la cause de l'accident n'a pu être établie avec précision, il est constant qu'il n'est imputable ni à une faute des militaires qui procédaient au chargement ni à une faute des militaires qui procédaient au chargement ni à une faute de la SNCF ; que la SNCF a demandé la condamnation de l'Etat à la réparation tant du préjudice qu'elle a subi directement que de celui qui résulterait pour elle des indemnités qu'elle serait éventuellement tenue de payer aux victimes ou à leurs ayants droit ou aux personnes qui les auraient indemnisés en raison des dommages tant corporels que matériels subis par eux du fait des explosions susmentionnées ; que le recours susvisé du ministre des armées est dirigé contre le jugement en date du 19 décembre 1961 par lequel le tribunal administratif de Châlons-sur-Marne a reconnu à la SNCF droit au principe de l'indemnité qu'elle réclamait ;

Sur le moyen tiré de ce que le tribunal administratif a entaché son jugement d'une contradiction de motifs :

Considérant que le tribunal administratif de Châlons-sur-Marne, après avoir admis qu'au moment du sinistre la SNCF avait, non la qualité de tiers à l'égard de l'Etat, mais celle de cocontractant de celui-ci, n'a pu sans entacher son jugement de contradiction de motifs, se fonder sur le risque exceptionnel de voisinage pour décider que la responsabilité de l'Etat se trouvait engagée ; que, dès lors, le ministre des armées est fondé à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'une irrégularité de nature à en entraîner l'annulation ;

Mais considérant que l'affaire est en état, qu'il y a lieu d'évoquer et d'y statuer immédiatement au fond ;

Considérant que pour écarter la demande d'indemnité de la SNCF, le ministre des armées se fonde d'une part et principalement sur la qualité de cocontractant de la SNCF, d'autre part et subsidiairement sur la loi du 3 mars 1921 qui réserve aux juridictions de dommages de guerre la connaissance des litiges relatifs à la réparation des dommages causés par l'explosion de munitions en dépôt ou en cours de transport, enfin et plus subsidiairement encore sur l'absence en l'espèce de risque exceptionnel de voisinage ;

Sur le premier point :

Considérant qu'il ressort des dispositions de l'article 3 du traité conclu le 1er janvier 1948 entre le ministre des forces armées et la SNCF pour l'exécution des transports ordinaires du département des forces armées que le contrat de transport n'est parfait qu'après signature par les deux parties intéressées tant de la déclaration d'expédition que du récépissé constatant la prise en charge par le transporteur des biens faisant l'objet du contrat de transport ; que tant que ce récépissé n'a pas été signé par les deux parties, la SNCF ne peut être tenue pour responsable de ces marchandises même lorsque celles-ci sont en cours de chargement ; qu'il est constant en l'espèce que, au moment où le sinistre s'est produit, aucun récépissé n'avait été signé ; que, dès lors, et sans qu'il y ait lieu de tenir compte de la circulaire du 25 juillet 1949 qui ne présente pas un caractère réglementaire, la responsabilité de la SNCF ne saurait en tout état de cause être engagée au titre du contrat de transport ;

Sur le second point :

Considérant que la loi du 28 octobre 1946 dispose dans son article 6 : « sont également considérés comme dommages causés aux biens par les faits de guerre et couverts par la présente loi… 3o les dommages causés à partir de la date de la mobilisation ou de l'ouverture des hostilités par l'explosion, la combustion, l'épandage et l'émanation d'engins de guerre ou de substances explosives, inflammables, corrosives ou toxiques se trouvant : a) soit abandonnées ; b) soit sous la garde de l'Etat, des armées alliées, d'une collectivité ou d'un établissement public ou d'une entreprise travaillant pour le compte ; c) soit en cours de transport pour le compte des collectivités, établissements ou entreprises visés au paragraphe b) ci-dessus » ; que cette même loi dispose dans son article 77 : « sont abrogées toutes les dispositions contraires à la présente loi » ; que la loi du 3 mai 1921 est au nombre des dispositions ainsi abrogées ; que, dès lors, le présent litige ne trouvait pas sa solution par application de ladite loi ; qu'en outre, aux termes de l'article 10 de la loi du 28 octobre 1946 : « sont admis au bénéfice de la présente loi… 2o les personnes morales françaises, à l'exception de l'Etat et des chemins de fer d'intérêt général » ; qu'il s'ensuit que le litige dont s'agit ne saurait davantage être réglé par application des dispositions susrappelées de l'article 6 de la loi du 28 octobre 1946 ni par aucune autre disposition de ladite loi ; qu'ainsi, à défaut de toute responsabilité d'ordre contractuel comme en l'absence de toute disposition législative susceptible de servir de fondement à la responsabilité de l'Etat, celle-ci ne peut éventuellement se trouver engagée que sur le terrain du risque exceptionnel de voisinage ;

Sur le troisième point :

Considérant que l'accumulation dans les cinq wagons susmentionnés d'un nombre important de têtes de roquettes à charge creuse constituait un risque excédant les risques normaux de voisinage et était de nature à engager en cas de sinistre la responsabilité de l'Etat, alors même que, comme en l'espèce, aucune faute ne serait établie à la charge de celui-ci ; qu'il est constant qu'aucune faute de nature à supprimer ou à atténuer la responsabilité de l'Etat ne saurait être retenue à la charge de la SNCF ; que, par suite, ladite société est fondée à demander que l'Etat soit condamné à la réparation des dommages matériels qu'elle a subis, mais que cette réparation ne saurait s'étendre aux dommages subis par d'autres personnes alors que la SNCF ne justifie pas qu'elle ait été saisie de demandes de cette nature et que les dommages invoqués de ce dernier chef ne présentent dès lors qu'un caractère incertain et purement éventuel ; qu'il suit de là que la décision du secrétaire d'Etat aux forces armées (air) en date du 13 mars 1957 rejetant la demande d'indemnisation formée le 25 février 1957 par la SNCF doit être annulée ;

Mais considérant que l'état du dossier ne permet pas d'évaluer le montant du préjudice subi par cette dernière ; qu'il y a lieu dans ces conditions de la renvoyer devant le ministre des armées pour liquidation de l'indemnité à laquelle elle a droit dans la limite ci-dessus précisée avec intérêts au taux légal à compter du 23 septembre 1959, date de sa demande à l'autorité militaire chiffrant les dommages subis ;

Sur les dépens de première instance :

Considérant que dans les circonstances de l'affaire, il y a lieu de mettre les dépens de première instance à la charge de l'Etat,

Art. 1er.

 

Le jugement susvisé du tribunal administratif de Châlons-sur-Marne en date du 19 décembre 1961 est annulé.

Art. 2.

 

La décision du 13 mars 1957 rejetant la demande d'indemnité de la SNCF est annulée.

Art. 3.

 

la SNCF est renvoyée devant le ministre des armées pour la liquidation de l'indemnité à laquelle elle a droit en ce qui concerne les dommages matériels qu'elle a subis, avec intérêts au taux légal à compter du 23 septembre 1959.

Art. 4.

 

Le surplus des conclusions de la demande de la SNCF devant le tribunal administratif de Châlons-sur-Marne ainsi que le surplus des conclusions du présent recours du ministre des armées sont rejetés.

Art. 5.

 

Les dépens de première instance et d'appel seront supportés par l'Etat.

Art. 6.

 

Expédition de la présente décision sera transmise au ministre des armées.