INSTRUCTION N° 8590/MA/DSLA/SLP sur l'intervention de l'autorité judiciaire à l'intérieur des établissements, bâtiments et autres dépendances militaires ou maritimes ainsi qu'à bord des bâtiments de l'Etat.
Du 15 juillet 1958NOR
L'intervention éventuelle des représentants de l'autorité judiciaire dans les établissements, bâtiments ou autres dépendances militaires ou maritimes ainsi qu'à bord des bâtiments de l'Etat, est susceptible d'entraîner des difficultés qu'il conviendra de résoudre en tenant compte des considérations suivantes.
Aux termes de l'article 32 du code de justice militaire pour l'armée de terre et de l'article 41 du code de justice militaire pour l'armée de mer, des réquisitions doivent être adressées par l'autorité civile à l'autorité militaire ou maritime, lorsqu'il y a lieu, soit de constater une infraction de la compétence des tribunaux ordinaires dans un établissement militaire ou maritime ou à bord d'un bâtiment de l'Etat, soit d'y arrêter un individu justiciable de ces tribunaux (1).
L'autorité militaire est tenue de déférer à ces réquisitions et, dans le cas de conflit, de s'assurer de la personne de l'inculpé.
Dans ces conditions, deux catégories de cas sont à distinguer :
1. Des faits survenus à l'intérieur d'un établissement ou d'un immeuble maritime, ainsi qu'à bord d'un bâtiment de l'Etat sont susceptibles de constituer une infraction pénale et nécessitent par conséquent l'ouverture d'une enquête qu'il appartient au chef d'établissement ou au chef de corps de provoquer, quel que soit le tribunal qualifié pour en connaître.
2. Les autorités civiles sont appelées à poursuivre (ou à faire poursuivre par des officiers ou agents de la police judiciaire civile ou militaire) à l'intérieur du domaine militaire ou maritime, des investigations nécessitées par des faits survenus à l'extérieur de ce domaine (mise à exécution de commissions rogatoires, de mandats, etc.).
Dans le premier cas, l'initiative appartient au chef d'établissement ou au chef de corps ; dans le second, cette initiative lui échappe, mais l'autorité civile n'intervient, en principe, que dans l'hypothèse où l'infraction relève de la compétence des tribunaux de droit commun. Toutefois, il est des cas où la question de compétence est difficile à déterminer et ne sera fixée exactement qu'après l'enquête ; ainsi en est-il en particulier en cas de plainte contre inconnu avec constitution de partie civile qui met automatiquement l'action publique en mouvement et oblige le parquet à déclencher une enquête.
1. La surveillance de certains faits nécessite l'ouverture d'une enquête.
Aux termes de l'article 26 du code de justice militaire pour l'armée de terre et de l'article 35 du code de justice militaire pour l'armée de mer, les commandants d'armes et majors de la garnison, les majors généraux des ports, les chefs de corps, de dépôt et de détachement, les chefs de divers services militaires ou de la marine peuvent faire personnellement, ou requérir les officiers de police judiciaire, chacun en ce qui le concerne, de faire tous les actes nécessaires à l'effet de constater les crimes ou délits et d'en découvrir les auteurs (2).
Compte tenu des pouvoirs qui lui sont ainsi conférés, il paraît souhaitable que, pour le déclenchement de l'enquête, l'autorité militaire ou maritime intéressée, sans préjudice des avis que les instructions particulières peuvent lui enjoindre d'adresser à l'autorité supérieure, prévienne immédiatement la brigade de gendarmerie locale.
Cette façon de procéder est de pratique courante ; elle offre l'avantage d'un gain de temps toujours appréciable en matière de police judiciaire. Le succès des opérations est, en effet, étroitement lié à la rapidité de l'intervention des enquêteurs et à certaines mesures conservatoires qui doivent être prises sur l'heure (relevés d'empreintes, prélèvements d'indices, réquisition d'experts, etc.) pour éviter notamment le dépérissement des preuves.
Or, non seulement, en raison de la permanence de son service, la gendarmerie est à même de répondre sans délai à tout appel, mais le commandant de brigade, étant à la fois officier de police judiciaire civil et officier de police judiciaire militaire [art. 16 du code de procédure pénale, art. 25 du code de justice militaire pour l'armée de terre, art. 34 du code de justice militaire pour l'armée de mer (3)], se trouve compétent pour instrumenter quelle que soit la juridiction, de droit commun ou militaire, appelée à connaître de l'affaire. Toutefois, lorsqu'il s'agit d'infractions présentant le caractère d'infractions spéciales militaires liées étroitement à des questions essentiellement disciplinaires (refus d'obéissance, voies de fait à supérieurs, par exemple) l'autorité militaire doit pouvoir, sauf cas exceptionnels, effectuer par elle-même, toutes constatations utiles sans faire appel à la gendarmerie.
Dans l'hypothèse où un détachement de gendarmerie se trouve affecté à l'établissement lui-même (cas des brigades de gendarmerie aérienne ou maritime en particulier) c'est, bien entendu, à ce détachement qu'est directement confiée l'enquête par l'autorité militaire ou maritime.
La discrimination de compétence entre les juridictions militaires et de droit commun n'est pas, en effet, toujours aisée et le recours à la gendarmerie présente le grand avantage d'enlever toute hésitation au chef d'établissement ou au chef de corps sur le choix de l'autorité à alerter. C'est la gendarmerie qui, selon les cas et dans les conditions fixées par la réglementation en vigueur, transmet, soit au procureur de la République, soit au général commandant la région militaire ou aérienne ou au préfet maritime, le dossier de la procédure.
Il y a toutefois lieu d'observer que, par application de l'article 35 du code de justice militaire pour l'armée de terre et de l'article 44 du code de justice militaire pour l'armée de mer (4), à défaut d'officier de police judiciaire militaire ou maritime, présent sur les lieux, il peut être fait appel à tout autre officier de police judiciaire cité à l'article 16 du code de procédure pénale, compétent dans la circonscription où l'établissement se trouve situé ; enfin, il convient de tenir compte à ce point de vue des dispositions de la circulaire 4102 /JM/2 du 30 mars 1954 modifiée relative à la compétence ratione materiae de certains services de police judiciaire (BO/G, p. 2090 ; BOC/M, p. 2309 ; BOC/A, p. 1207). Ce recours doit cependant revêtir un caractère occasionnel du fait que la gendarmerie possède des unités réparties sur tout le territoire.
Les divers événements susceptibles de donner lieu à l'enquête appellent, d'autre part, selon leur qualification, les commentaires suivants :
1. Accidents (explosions, incendies,…).
La police judiciaire n'a pas seulement pour objet de constater l'infraction commise qui résulte des faits eux-mêmes, mais aussi, chaque fois que certaines circonstances permettent de penser qu'une infraction a été commise, de rechercher si effectivement cette infraction est ou non juridiquement constituée.
De plus, il n'est pas nécessaire que le préjudice causé soit d'ordre corporel ou que l'accident résulte d'une intention délictueuse pour qu'une infraction pénale puisse être constituée. Un incendie, par exemple, dû à l'imprudence et qui n'a entraîné que des dommages matériels, peut motiver des poursuites en vertu de l'article 483 (5) du code pénal.
Cependant, en cas d'accidents donnant lieu à enquête technique de la part de l'administration militaire ou maritime [de la part de l'inspection générale du service des poudres par exemple (6)], il est nécessaire de demander à l'autorité chargée d'instrumenter de ne procéder, dans toute la mesure du possible, à l'ouverture de l'enquête qu'en présence du représentant qualifié du service intéressé appelé immédiatement sur les lieux.
En effet, en raison du caractère particulier des accidents survenus dans certains établissements militaires (poudreries, dépôts de munitions, entrepôts de carburants, etc.), il peut arriver que des mesures prises par des enquêteurs non qualifiés au point de vue technique rendent très difficile la détermination de l'origine des accidents, laquelle résulte parfois de constatations qui paraissent négligeables à ces enquêteurs.
2. Crimes ou délits.
Dans le cas de crimes ou délits, l'intervention de l'autorité judiciaire étant toujours justifiée, il est nécessaire de provoquer une enquête sans attendre cette intervention. Le partage des compétences juridictionnelles n'offre pas grand intérêt si, comme il est souhaitable et généralement possible de le faire, il est fait appel à la gendarmerie pour effectuer cette enquête.
3. Suicides.
En cas de suicide survenu dans l'enceinte d'un établissement militaire ou à l'intérieur d'un immeuble militaire, l'intervention de l'autorité judiciaire civile est également justifiée et il convient par conséquent de provoquer également une enquête en s'adressant à la gendarmerie dans toute la mesure du possible.
2. Mise à exécution des réquisitions des autorités civiles à l'intérieur d'un établissement ou d'un immeuble maritime ou militaire ainsi qu'à bord d'un bâtiment de l'Etat.
Un officier ou un agent de police judiciaire peut être détenteur d'un document émanant de l'autorité civile (commission rogatoire, réquisition, mandat de justice) qui atteste le caractère impératif de sa mission.
Les autorités civiles doivent, au préalable, en application de l'article 32 du code de justice militaire pour l'armée de terre ou de l'article 41 du code de justice militaire pour l'armée de mer (7) adresser leur réquisitions à l'autorité militaire en vue d'obtenir l'entrée de l'établissement en question.
Au cours de sa visite, l'officier de police judiciaire est toujours accompagné. Il convient de n'admettre l'officier de police judiciaire à visiter des installations ou matériels présentant un caractère secret que dans la mesure où cette visite est absolument indispensable à l'accomplissement de sa mission. Dans ce cas, la visite est obligatoirement effectuée en compagnie d'un membre du service de sécurité militaire (8), local ou régional, ou, à défaut, d'un représentant qualifié du commandement. Cette réserve ne doit pas toutefois être interprétée de façon à rendre impossible l'accomplissement de la mission dont est investi l'officier de police judiciaire. En particulier, les interrogatoires qu'impliquent la plupart des commissions rogatoires doivent pouvoir se dérouler dans des bureaux qui pourront être mis à la disposition de l'officier de police judiciaire tout en respectant les obligations du secret.
En cas de doute, il y a lieu d'en référer à l'autorité supérieure. D'autre part, un juge d'instruction militaire, conformément aux dispositions des articles 52 du code de justice militaire pour l'armée de terre et 60 du code de justice militaire pour l'armée de mer (9), peut déléguer un magistrat civil ou un officier de police judiciaire civil pour procéder à certains actes d'information à l'intérieur d'un établissement militaire et il peut également commettre un expert civil qui devra nécessairement pénétrer dans l'établissement.
Dans les hypothèses prévues par la circulaire 4102 /JM/2 du 30 mars 1954 précitée, c'est l'objet de l'enquête elle-même qui a pu conduire le magistrat militaire à désigner cet officier de police judiciaire civil et, dans certains cas (sabotage par exemple), cette enquête peut rendre nécessaire l'accès aux installations et matériels présentant un caractère secret.
Les dispositions susvisées concernant la protection du secret assurée par l'intervention, chaque fois qu'elle est possible, du service de sécurité militaire (8) doivent, là encore, être appliquées. De plus, il appartient à ce service d'attirer particulièrement l'attention des officiers de police judiciaire civile ou militaire sur les graves inconvénients que constituerait l'introduction de toute allusion au secret de la défense nationale dans les actes qu'ils sont appelés à dresser.
3. Droit d'intervention des personnels de la gendarmerie à l'intérieur des établissements militaires.
Les officiers, gradés et gendarmes jouissent des droits d'intervention que leur confère la double qualité d'officier ou d'agent de la police judiciaire civile et de la police judiciaire militaire, droits qui viennent d'être exposés aux paragraphes I et II.
Leur appartenance à l'armée désigne, en outre, ces personnels comme les auxiliaires naturels de l'autorité judiciaire, civile ou militaire, pour les enquêtes à l'intérieur des établissements militaires ; aussi les plus grandes facilités doivent leur être accordées pour l'accomplissement de leur mission ; en particulier, ils ne sauraient se voir opposer la nécessité du secret de la défense nationale puisqu'ils sont eux-mêmes soumis à cette obligation. Bien plus, par leurs interventions, ils font systématiquement disparaître les indispensables restrictions apportées dans le paragraphe II ci-dessus concernant la protection du secret. Il leur appartient, cependant, de se présenter chaque fois au directeur d'établissement ou à son délégué responsable pour lui soumettre l'objet de leur visite et solliciter les autorisations nécessaires, en particulier en ce qui concerne la prise de photographies.