INSTRUCTION N° 50038/DEF/SGA/DAJ/APM/EO relative à l'enquête de commandement et à l'enquête judiciaire.
Abrogé le 20 avril 2017 par : INSTRUCTION N° 6296/DEF/CM13 relative aux enquêtes de commandement. Du 18 mars 2008NOR D E F D 0 8 5 0 7 2 2 J
Cette instruction a pour finalité de revenir sur la définition de l'enquête de commandement, d'en préciser l'objet et de montrer les différences et les liens que celle-ci entretient avec l'enquête judiciaire.
Il convient d'évoquer à cette occasion les risques occasionnés par la transmission dans les procédures judiciaires des enquêtes de commandement qui ne respecteraient pas les finalités qui lui sont propres et d'en prévenir les conséquences.
1. Présentation de l'enquête de commandement et de l'enquête judiciaire.
1.1. Enquête de commandement.
L'enquête de commandement s'inscrit dans le cadre de l'enquête effectuée par l'administration à la suite d'un évènement particulier mettant en cause des administrés. Elle permet de recueillir des informations nécessaires à la prise de décision, d'obtenir une appréhension globale et de préciser les circonstances de l'affaire ainsi que de constituer une source d'informations. Elle se distingue ainsi de l'enquête judiciaire dans sa réglementation et son domaine d'application.
L'enquête de commandement est régie dans le cadre de la survenance d'un évènement grave par l'instruction n° 754/DEF/EMAT/EP/L du 12 mai 1989 relative à la rédaction des rapports de commandement consécutifs à un évènement grave. Deux directives viennent la compléter. La directive n° 680/DEF/EMAT/CAB/OSA/ADM/31/DR du 23 janvier 1996 (n.i. BO) définit les modalités de déclenchement et de mise en œuvre de la procédure de l'enquête de commandement. La directive n° 186/DEF/EMAT/CAB/OSA/ADM/31 du 9 janvier 1997 (n.i. BO) précise que le délai de transmission de l'enquête à l'autorité décisionnaire ne doit pas excéder trente jours à partir de la date de l'évènement.
La directive n° 680 envisage quatre cas de figures susceptibles de justifier le déclenchement de cette procédure : « la mise en cause d'une autorité du niveau de chef de corps, l'exploitation publique éventuelle d'une affaire, l'instruction d'une affaire incomplète ou partisane, des ramifications extérieures à l'organisme concerné lors d'une instruction en cours ».
Seuls un officier général exerçant un commandement ou directeur de service et un officier supérieur ayant le même pouvoir sont habilités à prescrire une enquête de commandement. À la différence d'autres administrations, l'enquête de commandement est réalisée directement par le commandement et non par un corps d'inspection distinct.
L'enquête de commandement se définit comme la recherche de faits répréhensibles et de responsabilités dans la chaîne de commandement. Elle porte également une appréciation sur la manière de servir des militaires en cause. Elle est, selon les termes de la directive n° 680, « un moyen indispensable à l'information du commandement et à la détermination des responsabilités militaires [...] dans le cadre des règlements militaires ». Elle a pour but, en outre, de mettre à jour le dysfonctionnement dans le service et d'y remédier. Elle permet de prendre ainsi les mesures utiles afin de prévenir le renouvellement des faits.
L'enquête de commandement s'inscrit, en définitive, dans le processus de détermination de l'existence d'une faute éventuelle, faute personnelle de l'agent ou faute de service, engageant ou non la responsabilité de l'agent ou de l'administration, voire un cumul de responsabilités si la faute personnelle n'est pas dépourvue de tout lien avec le service (Tribunal des conflits. 14 janvier 1938,Thépaz, Rec. 224).
1.2. Enquête judiciaire.
Le code de procédure pénale désigne sous le nom global d'enquête les actes de police judiciaire. L'enquête judiciaire a pour but, en vertu de l'article 14 alinéa 1 du code de procédure pénale, « de constater les infractions à la loi pénale, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs tant qu'une information n'est pas ouverte». Elle relève, en vertu de l'article 40 du code de procédure pénale, de la compétence du procureur de la République.
L'étendue des prérogatives du procureur de la République et des enquêteurs de son ressort diffère selon que les investigations se déroulent dans le cadre procédural de l'enquête préliminaire ou celui de l'enquête de flagrance. L'enquête préliminaire est régie par les articles 75 à 78 du code de procédure pénale. Elle se distingue de l'enquête de flagrance, prévue aux articles 53 et suivants du code de procédure pénale, par son fondement, c'est-à-dire l'urgence à recueillir les preuves nécessaires à la découverte de la vérité. Lorsqu'une information est requise par le procureur de la République, l'ensemble de l'enquête de police et de la procédure d'information préalable est menée par le juge d'instruction.
2. Enquête de commandement et enquête judiciaire : des objectifs distincts, des interactions possibles et les conséquences qui en découlent.
L'enquête judiciaire se distingue tant dans ses fondements qu'à travers ses finalités de l'enquête de commandement.
2.1. Des objectifs distincts.
L'enquête de commandement a pour but la recherche de fautes éventuelles liées à la spécificité des activités militaires. Elle se réfère à la réglementation de l'activité en cause et se doit d'être objective. Elle est autonome dans la mesure où l'existence d'une hypothétique faute disciplinaire ne signifie pas nécessairement une infraction pénale. Toute faute commise par le militaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale. Autorité disciplinaire et juridiction pénale ne sont pas liées par leurs décisions respectives à la seule exception de la constatation matérielle des faits par l'autorité judiciaire. Cette indépendance rend possible le cumul des sanctions disciplinaires et pénales.
Cependant la mesure disciplinaire n'est pas un acte juridictionnel. Elle est un acte administratif soumis au contrôle du juge administratif, juge de l'excès de pouvoir. Dans une certaine mesure seulement, elle est soumise à l'enquête judiciaire et au résultat de cette dernière puisque l'autorité disciplinaire peut être liée par la constatation faite par le juge ou le tribunal de la matérialité des faits. En outre, en cas d'arrêts disciplinaires, leur durée doit se déduire de la durée de la peine d'emprisonnement prononcée par le tribunal.
2.2. Des interactions possibles.
Outil de travail pour l'autorité disciplinaire, l'enquête de commandement est aussi utilisée par le juge et pourra se trouver appréciée au même titre qu'un acte d'enquête judiciaire. Le principe en matière de recherche et d'administration de la preuve est, en vertu de l'article 427 alinéa 1 du code de procédure pénale, celui de la liberté de la preuve. Si l'enquête n'est pas classifiée, le juge aura ainsi une connaissance quasi-systématique de l'enquête de commandement dans le cadre de ses investigations dans la mesure où celle-ci est soit demandée par le procureur de la République en charge de l'enquête, soit par le juge d'instruction lors de l'ouverture d'une information, soit fournie par l'administration militaire à l'occasion de l'avis transmis avant toute poursuite. Si l'enquête est classifiée, le juge peut, en vertu de l'article L. 2312-4 du code de la défense, demander l'éventuelle déclassification de l'enquête de commandement ; celle-ci sera déclassifiée en totalité ou en partie selon la décision prise par le ministre de la défense à l'issue de la procédure de saisine de la commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN).
Une fois transmise au juge et versée en procédure, l'enquête de commandement est considérée par le juge comme un élément parmi les moyens de preuve libres dont il dispose grâce à l'enquête judiciaire. Elle devient un élément de preuve au même titre qu'un interrogatoire ou une expertise. En vertu du principe de l'intime conviction, le juge apprécie la force probante des éléments qui lui sont soumis par le biais de l'enquête de commandement. Il lui appartient dès lors de la faire prévaloir ou non sur les autres éléments de preuve obtenus dont il dispose grâce aux actes de police judiciaire effectués.
2.3. Les conséquences de cette interaction.
L'enquête de commandement étant susceptible d'être intégrée à l'enquête judiciaire, l'autorité militaire qui la conduit doit tenir compte de cette interaction et en tirer les conséquences. Il convient d'attirer l'attention du commandement sur l'usage qui peut en être fait et sur les risques d'utilisation dans un but autre que celui qui lui est assigné initialement. Une enquête de commandement qui, par exemple, propose ou sous-entend la qualification juridique de l'infraction susceptible d'être relevée s'écarte de son objet qui est notamment d'établir la faute disciplinaire.
Ses conclusions sont susceptibles d'influencer le juge. On ne peut nier le poids que peut avoir une enquête émanant du commandement supérieur des forces armées sur la conviction du juge saisi des faits dans un domaine particulier dont il n'est pas nécessairement familier. Il peut dès lors s'appuyer en particulier sur l'enquête de commandement pour déterminer les responsabilités et faire le choix de certaines qualifications pénales en vertu des principes de l'intime conviction et de la liberté de la preuve. L'intégration d'une enquête de commandement dans l'enquête judiciaire concluant à la violation du respect de règlements militaires par exemple peut aussi inciter le juge à prononcer des mises en examen qui peuvent relever du délit de violation de consignes. Le juge peut aussi viser des qualifications nettement plus graves comme celle de complicité d'homicide involontaire, dans le cas d'un tir accidentel mortel par exemple. Il est à noter que de telles qualifications pénales pourront être retenues par le juge dans le cadre de mises en examen susceptibles de toucher des responsables militaires.
Une fois annexée à la procédure judiciaire, l'enquête de commandement est à la disposition du juge mais aussi des parties. En ne prenant pas garde à respecter strictement une exigence de prudence, mais aussi d'objectivité et de neutralité dans l'établissement des responsabilités, l'enquête de commandement peut devenir un instrument de stratégie pour le mis en examen et la partie civile.
Si une enquête de commandement relève des violations de consignes à chaque échelon hiérarchique et que ces actes sont également appréhendés sous l'angle pénal, la défense d'un militaire, auteur d'une infraction, pourra, par exemple, s'appuyer sur certains éléments de l'enquête de commandement afin de faire remonter les responsabilités le plus haut possible dans l'échelle des autorités hiérarchiques et ainsi inclure sa responsabilité avec celle de chaque échelon hiérarchique impliqué. Dans l'hypothèse de défaillances successives, la jurisprudence ne retient pas exclusivement le critère de l'immédiateté. La faute la plus proche du dommage entre alors dans un processus engagé par une faute précédente qui rend elle même prévisible le préjudice. Le juge peut donc considérer que chaque échelon hiérarchique a été complice de l'infraction, que l'acte de l'auteur n'a été que la conséquence d'actes fautifs successifs et confirmer ainsi la position de la défense. La justice pénale peut être sensible à ce type d'arguments. À titre d'exemple, dans une procédure relative à un tir effectué dans le cadre d'une mission Vigipirate, le juge a envisagé d'imputer aux autorités hiérarchiques les plus élevées une responsabilité directe en considérant qu'elles n'avaient pas prévu un armement adapté aux opérations menées dans le cadre de Vigipirate.
La judiciarisation de l'enquête de commandement contredit la finalité propre de cette dernière qui doit rester la mise en évidence des responsabilités administratives. Afin de réduire les risques de dérives, il conviendra que l'autorité rédactrice de l'enquête de commandement respecte une stricte obligation de prudence et de cohérence et ne s'aventure pas sur un terrain relevant de la procédure pénale.
Pour le ministre de la défense et par délégation :
La directrice des affaires juridiques,
Monique LIEBERT-CHAMPAGNE.